Les souvenirs de Bernard Barreau

Les souvenirs de Bernard Barreau et Olivier Streit
(Extraits du magazine Planète 2cv du 129)

J'ai entendu parler du raid par le biais d'une rumeur au lycée : « Il paraît que Citroën prépare un raid, une annonce doit passer dans le journal ». c'est dans Auto-Poche que j'ai trouvé l'appel de Citroën à participer au Paris Kaboul Paris. J'ai d'abord demandé à mon frère, de 2 ans mon aîné, s’il voulait faire le raid avec moi. Sa fiancée l’a aussitôt prévenu qu'il faudrait choisir entre elle et Kaboul. Il a choisi sa fiancée ! Un autre copain à qui j'ai proposé de m'accompagner avait prévu de passer l'été en Corse. Il n'a pas voulu renoncer à ses vacances luxueuses. Alors j'ai demandé à Olivier, un copain plus aventurier. Lui n'a pas hésité et a accepté sur-le-champ. C'était le troisième choix, mais le bon. Il connaissait les bases de la mécanique ce qui faisait de lui, le compagnon de voyage parfait. Nous nous entendions très bien.
Notre Citroën Azam de 1966, gris rosé était la voiture de ma mère. Elle l'avait achetée dans le cadre d’un plan épargne 2 cv. Le jour de la livraison, mon père, qui était de la vieille école, enseignait les règles de conduite à ma mère pour éviter de faire grincer les vitesses. Maitrisant mal la conduite, ma mère m'a confié le volant de notre 2 cv toute neuve pour la ramener à la maison. Je n'avais alors que 16 ans. Ma première voiture a été une Renault 4 cv. Je l'ai rapidement mise sur le toit ! Mes parents ont alors pris conscience que je conduisais trop vite et ont décidé de me céder la 2 cv.

La préparation de la voiture
Pour améliorer l’autonomie, nous avons ajouté un réservoir de Daf trouvé à la casse qui allait parfaitement à la place de la roue de secours. Avec un système de robinet, nous pouvions passer d'un réservoir à l'autre. À l'époque, j’occupais mon premier emploi de dessinateur industriel dans un bureau d'études. Difficile de m’absenter pour préparer la voiture. Olivier de son côté n'avait pas encore trouvé de boulot, (il ne cherchait pas beaucoup). Il avait donc tout le temps pour peaufiner notre bolide. Quand je rentrais du boulot, je le rejoignais. Nous avons confectionné un gros pare-buffle à l'avant et y avons intégré 2 chevrons. Le logo Citroën. Comme nous ne voulions pas quitter la voiture pour dormir la belle étoile ou sous la tente, nous avons récupéré et transformé les banquettes d'une vieille 2cv à armature apparente. En dégrafant le dossier, la garniture devenait une couchette. Ainsi nous avons pu dormir dans la voiture ; soit à 2 en même temps, soit à tour de rôle, l'un conduisant pendant que l'autre récupérait. Ça nous a fait gagner du temps par rapport aux concurrents qui devaient installer leur bivouac. Nous sommes partis de Rungis avec 4 roues de secours sur le toit. Trop chargés, nous n'arrivions pas à dépasser le 80 km/h. Comme ma grand-mère habitait dans l'Yonne, nous avons fait un détour et laissé 2 roues chez elle. À partir de là, nous avons pu rouler plus vite. il y avait un autre équipage qui venait du même lycée que nous. On ne s'en est rendu compte qu'à Istanbul. Il roulait avec une vieille camionnette.

Un état d'esprit
Le Paris Kaboul a été mon premier grand voyage en voiture. Nous sommes partis sans la moindre idée de ce que nous allions trouver. Nous savions qu'il y avait des chameaux mais c'était à peu près tout. Nous n'avions aucun apriori sur ce que nous allions voir. Tout au long du périple, nous n'avons fait que découvrir. Il y eut des moments très intenses, très beaux mais aussi très durs parfois.
Nous avons traversé la Turquie en suivant des itinéraires pas toujours prévus. Un jour, nous nous sommes retrouvés sur un chemin traversant un petit village. Je conduisais capote ouverte à cause de la chaleur, quand on nous a lancé une pastèque pourrie. Elle a explosé dans la voiture. Nous avons accéléré à fond pour nous éloigner du village et nettoyer la voiture un peu plus loin. La Turquie reste le pays le plus marquant et le plus dépaysant que nous ayons traversé. À Istanbul nous étions hébergés à l'université. Dans cette mégalopole, nous découvrions une vie complètement différente de l’Europe. C'était notre premier contact avec quelque chose qui ne ressemble à rien de ce que nous connaissions. Une autre fois, toujours en Turquie, nous nous sommes arrêtés sur les rives de la mer Noire. Il y avait un attroupement d’enfants et un homme qui nous invita à boire un café, apparemment un ancien consul de France. Occupés à discuter, nous avons tourné notre café, ce qu’il ne faut surtout pas faire avec un café turc, et essayé de le boire jusqu'au bout avant de nous apercevoir que le fond plein de marc était imbuvable. On ne nous y reprendra plus ! A notre retour, la bande de jeunes était toujours là et attendait qu'on reparte. La voiture ne démarre pas. On soulève le capot, les gamins avaient débranché la bobine !

Des épreuves
Une autre fois, j'étais au volant depuis des heures, assommé de chaleur et de poussière quand j'arrive sur un bouchon. On nous explique qu’une 2cv du raid s'est encastrée dans un camion. Nous partons à pied aux nouvelles. Nous interrogeons un Turc, debout à côté d'un fourgon kaki mais il ne comprend pas ce que nous disons. Il contourne le fourgon et nous ouvre les portes de la camionnette. À l’intérieur nous découvrons effarés, les corps sans vie des 2 concurrents. C’est un souvenir affreux auquel je pense encore souvent. Des accidents on en a vu d'autres, comme celui survenu sur une grande route où un autocar qui doublait un camion au fond d’une cuvette s'est retrouvé face un autre autocar. Les 2 bus se sont percutés de plein fouet et sont encastrés l'un dans l'autre. Le camion doublé a lui versé dans le fossé. Nous sommes arrivés juste après l'accident. Tous les passagers étaient entassés pêlemêle à l'avant des autocars. Des images de guerre !

Abandon faute de visa
De retour d’Afghanistan, nous nous retrouvons coincés à la frontière iranienne. Olivier, de nationalité Suisse, n'a qu'un visa simple transit qui n'est plus valable pour entrer une 2e fois en Iran. Nous devons retourner à Herat pour trouver un consulat et obtenir un nouveau visa. Avec 3 jours de retard sur les autres concurrents, nous décidons d'abandonner le raid et de prendre notre temps pour rentrer. C'est ce qui nous a permis de faire le détour jusqu'au site fabuleux d’Ispahan. Bien sûr, on n'a pas pointé à Rungis dans les temps, mais c'était un mal pour un bien.
En Bulgarie, nouveau pépin. Au moment de dépasser un camion, le chauffeur décide de faire un demi-tour. Bilan : bras arrière faussé et toutes les vitres du côté droit brisées. Comme à Kaboul, nous étions tombés dans un trou le bras avant droit était déjà tordu. Pour pouvoir rouler, nous avions compensé en réglant les manchons de direction en buté. Mais cette fois, nous avons rejoint Paris, avec beaucoup de retard, en roulant en crabe depuis la Bulgarie.
Quand je me suis présenté à mon travail avec 15 jours de retard, ma lettre de licenciement m'attendait.

50 ans après
Avec le recul, je me dis que pour partir comme ça, il fallait avoir l'esprit d’aventure. Ce voyage m'a donné le goût de l'indépendance. Je ne sais pas si je l’avais déjà avant de partir mais le raid l’a exacerbé. Après avoir été viré de mon travail je n'ai plus jamais été salarié. J'ai monté mon propre bureau d'études. Dans les années 70, nous avions soif de liberté. De nombreux carcans existaient encore en France, la majorité était à 21 ans et l'autorité parentale toujours forte. Les avancées obtenues après mai 68 avaient réveillé notre appétit de liberté.

Mon aventure avec les 2cv ne s’est pas arrêtée là. En 1972, je me suis inscrit pour participer au premier pop cross 2cv. mais sans grand succès ! j'avais acheté un moteur à la casse mais n’ai jamais réussi à trouver un bouchon de vidange de carter du bon filetage. En 1972, j'ai décidé d'y participer en méhari. En 74 j'ai acheté une 2 chevaux orange Ténéré. Je l'ai gardée 7 ans. Avec elle, je tractais un plateau sur lequel il y avait ma 2 chevaux cross pour participer aux différentes épreuves. j'avais encore ma vielle 2CV du Paris Kaboul. Elle était garée sur le parking de la résidence où j'habitais. Un jour elle a disparu ! Arrivé à la retraite j'ai eu de nouveau envie de 2 cv. Comme je suis bricoleur, j'ai réalisé un cabriolet Dyane, avec lequel j’ai pu rouler sur le légendaire circuit de La Ferté Vidame à l'occasion du centenaire Citroën.

Bernard Barreau