Carnet de route de l'équipage n°120
Jean Claude Coudry, Claude Bohelay; Roger Zimmerman.
Préparation et équipement de la voiture
Trois semaines de révision chez Pierrot : changement pistons/chemises, rodage des soupapes, remplacement embrayage, ouverture de la boite de vitesse pour vérification pont et synchros, révision transmissions, freins, circuit électrique.
L’allégement : 25 kg sont gagnés par la suppression des tapis de sol, garnitures de portière et du tableau de bord, calandre, enjoliveurs de roues et la tôle de plancher arrière de l'option ENAC.
Les équipements : La protection du carter moteur et réservoir essence est assurée par une tôle de 2mm d'épaisseur. Le parechoc avant est renforcé et grillagé. Installation d'un avertisseur à dépression, d'une paire de phares longue portée et d’anti-brouillard. Un jerrican de 20 litres est installé sur la porte du coffre, des fixes-au-toit permettent l'installation de la 2ème roue de secours (montée en pneus M+S ) et de suspendre la vache à eau qui permettra d'avoir toujours de l'eau fraîche, même par les grandes chaleurs.
Plusieurs sociétés apportent leur aide aux participants. Cibier, Facom, Camping gaz international. La succursale CITROËN de Pantin me prête des pièces de rechange ( jeux de transmission, régulateur, etc.). Les pièces utilisées seront facturées au retour. TOTAL fournit 7 bidons d'huile Altigrade, nous fait le plein avant le départ, et nous remet des bons pour 120 litres d'essence dans leurs stations.
Samedi 1er août 1970 RUNGIS : 1ère étape PARIS BELGRADE 1969 km
(contrôle le 4 août de 6h à 10h).
Mardi 4 août 1970 : 2ème étape BELGRADE ISTANBUL 974 km
(contrôle le 5 août de 17h à 21h - heure locale).
Vendredi 7 août 1970 : 3ème étape ISTANBUL ERZURUM 1450 km
(contrôle le 8 août de 18h à 21h - heure locale).
Mardi 11 août 1970 : 5ème étape TEHERAN HERAT 1433 km
(contrôle le 13 août de 17h à 20h - heure locale).
Dimanche 9 août 1970 : 4ème étape ERZURUM TEHERAN 1242 km
(contrôle le 10 août de 18h à 21h - heure locale).
Vendredi 14 août 1970 : 6ème étape HERAT KABOUL 1088 km
(contrôle le 15 août de 14h à 17h - heure locale).
Lundi 17 août 1970 : 7ème étape KABOUL TEHERAN 2521 km
(contrôle le 21 août de 15h à 18h - heure locale).
Mercredi 26 août 1970 : 9ème étape ISTAMBUL PARIS 2943 km
(contrôle final le 29 août de 15h à 18h)
Samedi 22 août 1970 : 8ème étape TEHERAN ISTAMBUL 2962 km
(contrôle le 25 août de 16h à 19h - heure locale).
8h30, arrivée à Rungis au Drive-in-Cinéma auto. Après la présentation du laisser-passer, je prends la file d'attente pour le passage au contrôle technique. Il y a déjà une longue file de 2cv équipées pour le raid. 10h c’est notre tour : vérification des phares et lumières, des essuie-glaces, des freins, des suspensions. L'embrayage est légèrement retendu par le mécano de Citroën. On me demande de changer une roue arrière pour un petit éclat de gomme sur le flanc du pneu. Aucune difficulté coté moteur et suspensions. Un mécano colle les macarons du raid sur le capot et les portières. Nous sommes autorisés à prendre le départ. Passage au camion TOTAL : on reçoit 20 litres d'essence, 7 bidons d'huile et des adhésifs à coller sur la voiture. Des équipages espagnols arrivent vers 11h. Huit voitures 2cv, Dyane et Méhari, escortées par une Ami 8. Deux Dyane Iraniennes sont également présentes ; les équipages et les voitures viennent de l'usine de montage de Téhéran. Certaines équipes sont escortées ; au milieu des 2 CV, on peut voir deux 204, une Simca 1100, une Daf, une Ami 6 break. Un équipage refusé au contrôle fait un rodage de soupapes sur le parking. Nous installons les barres de toit pour la 2ème roue de secours afin de libérer de la place dans l'habitacle.
Nouvelle file d'attente pour les papiers : permis de conduire et permis international, assurances, passeports, visas, carnet de vaccinations. Tout est en ordre. Nous prenons place devant l'écran géant du cinéma en plein air (il ouvrira dans une semaine) en attendant le soir du départ. Nous vidons le coffre et l'aménageons pour la route. La société RICARD nous remet des mignonnettes et colle des adhésifs sur les voitures. Petits bricolages, gain de place, installation du cric avec la 1ère roue de secours sous le capot (l'option ENAC de ma voiture comprend déjà le portique roue de secours dans le compartiment moteur). Un grand nombre de 2cv, de Dyane mais également de Méhari en plus grand nombre que je ne le pensais, stationnent sur le parking où il fait très chaud : 35 degrés.
15h : Daniel sa femme et Lili arrivent. On remplit la vache à eau et l’installons aux barres de toit. Nous faisons ensemble un petit tour du parking entre les voitures afin de découvrir les modifs et bricolages des voitures. 16h mes parents, oncle et tante arrivent ; nouvelle promenade sur le parking. Une 2cv entièrement recarrossée en plastique et surbaissée (contrairement aux autres voitures réglées à + 4 à 5 cm) arrive : une Dagonet. Beaucoup s'affairent encore autour de leur voiture, réglage de la hauteur de caisse notamment. Les 18 DS de l’assistance sont alignées fièrement, prêtes à partir. Nous allons nous désaltérer et voir la SM en présentation. Depuis le toit d'un camion, nous prenons des photos du parking : des voitures à perte de vue ! TOTAL distribue des paniers dîners. La télé arrive et s'installe pour diffuser le départ en direct.
Des hauts parleurs nous informent que nous partirons par groupe de 50 voitures à 8 mn d'intervalle suivi d’une DS. 19h55 le premier groupe se met en position. 20h départ spectaculaire ; les 50 premières voitures, les unes derrière les autres foncent vers la sortie du parking, virent dans Rungis et entrent sur l'autoroute avertisseurs hurlants. 20h32 nous faisons partie du 4ème groupe. 85600 km au compteur, je suis au volant, Claude à mes côtés. Après plusieurs mois de préparation, nous voilà partis pour 29 jours. Vers minuit Roger me relaie au volant.
dimanche 2 août 1970
Je passe à l'arrière et dîne. Le panier TOTAL comprend pain, saucisson, poulet, Coca Cola. Déjà un accident vers Bourg en Bresse : une 2cv suisse s'est pris une Opel de face lors d'un dépassement ! Une Méhari est prise en remorque par l'assistance, vilebrequin cassé. De nombreuses DS nous doublent en klaxonnant ; leurs équipages nous saluent. Des nappes de brouillard par endroit nous obligent à ralentir. Une DS de l’assistance nous double, se met devant nous et nous ouvre la route grâce à ses puissants antibrouillards. 3h30 Claude prend le volant. Le jour se lève. À 6h du matin, nous arrivons en Suisse. Nous prenons 20 litres d’essence à Genève en bons TOTAL. Nous retrouvons un équipage normand à bord d'une Dyane (14 - Calvados) et d'une 2cv immatriculée dans la Somme. Ils cherchent leur route. Je reconnais l'avenue où nous sommes. Comme j'ai dormi pendant la nuit, je me remets au volant et ils nous suivent. Dans Genèvenous arrêtons les 3 voitures pour un petit-déjeuner dans un café, très copieux. Les 2 équipages qui se sont joints à nous sont sympas. Nous décidons de faire route ensemble. Nous repassons en France : Chamonix, tunnel du mont Blanc. D'autres voitures du raid suivent la même route. Nous nous doublons à tour de rôle et déclenchons les panneaux lumineux de rappel de limitation de vitesse et d'interdictions.
Côté italien, le temps est magnifique. Avant Aoste, nous nous arrêtons dans un petit village apparemment désert. En slip, nous nous lavons et nous rasons à la fontaine sur la place du village. Les cloches se mettent à carillonner et peu de temps après, les paroissiens sortent de l'église. Surpris, ils nous regardent curieusement. A midi, nous décidons de faire un vrai repas au restaurant. Roger reprend le volant. Nous suivons l’autoroute et arrivons à Venise à 19h30, enfin 20h30 en heure locale. La circulation est difficile et trouver une place de stationnement un problème. Nous sommes crevés, certains d’entre nous perdent patience. La 2cv de la Somme nous quitte. On dine, plutôt bien dans un snack. On sort de la ville vers 23h. A peine une heure plus tard, nous quittons l'autoroute Venise/Triesteet stationnons dans un champ. Nous sommes fatigués après ces premières 24h de route. Nous installons nos matelas pneumatiques entre les 2 voitures et dormons sous un plafond d’étoiles. Il fait très doux.
lundi 3 août 1970
6h du matin. Le jour nous réveille. Nous sommes couverts de rosée. Le temps d’un petit déjeuner, nous sommes à nouveau sur l’autoroute en direction de Trieste. J'ai remis la roue Michelin X enlevée au contrôle de départ pour garder mes 2 roues M+S en secours pour les futures routes difficiles et les pistes. On en profite pour enlever la roue du toit qui fait trop de prise au vent sur l'autoroute. 11h30, nous sommes à Trieste où nous prenons 20 litres d’essence en bons TOTAL. Après quelques courses, arrêt baignade dans l'Adriatique. A 14h30 nous repartons. Pas pour longtemps ! On s’arrête une demi-heure après pour déjeuner. Un Italien intrigué par nos voitures vient nous voir. Il veut à tout prix un macaron du raid. Nous lui expliquons que c’est impossible. Il nous donne une photo de lui et sa Fiat dans une course de côte. Nous repartons, Claude est au volant. Nous roulons toujours en tandem, accompagnés par la Dyane de Tarzan, (alias Claude Liabeuf l'équipage normand qui nous accompagne). Nous nous entendons bien et avons décidé de faire route ensemble.
A la douane Yougoslave, nous changeons de l’argent. Le jean de Claude a un gros trou au genou, il finit de le déchirer et le transforme en bermuda. On roule toujours : montagne, route étroite et difficile. Beaucoup de camions et semi-remorques et de longues files de voitures bloquées derrière les poids lourds. Je me repose à l’arrière. Le matelas pneumatique est posé sur la banquette arrière transformée le matin en couchette, (la version ENAC a un siège arrière pliant). Il est 20h quand nous nous arrêtons près de Zagreb pour faire le plein. Après le diner, je prends le volant, il fait nuit. Encore un accident : une 2cv a le côté gauche arraché et l’avant plié par un camion : heureusement, il n’y a pas de blessé. Je conduis jusqu'à 1h du matin. Roger me relaie. Nous arrivons à 2h à Belgrade. Nous dormons à la belle étoile sur le chemin de l'hôtel où aura lieu le 1ercontrôle demain matin. A 6h15, on se lève et prenons la queue déjà formée par les voitures qui attendent le contrôle. Tarzan nous suit, c’est un peu la bousculade. Les 1ers pointés repartent. Nous n’avons pas de nouvelle de nos amis de la Somme. On apprend que les malheureux concurrents qui ont cassé leur vilebrequin la nuit du départ ne sont repartis que lundi. Malgré leurs efforts, ils pointent à Belgrade avec 2 h de retard !
7h30 nous repartons. Nous traversons la Yougoslavie. Dans la matinée, on s’arrête pour remettre le filtre à air qui s’est déboité. À midi, nous déjeunons au bord d'un champ de maïs ; un paysan nous vend des concombres. La voiture ne tire plus. On nettoie le gicleur. Après quelques km ça recommence. Cette fois, on change la pompe à essence, puis on retouche les cales sous la pompe. Aucune amélioration ! Alors on remplace la durite de sortie de réservoir. C’est toujours pareil. Jacques prend le volant et essaye. Il pense que le filtre à essence du réservoir est peut-être trop serré, il enlève quelques rondelles. Une voiture de l'assistance s'arrête, et jette un coup d’œil. Ils pensent que ce sont des vapeurs d'essence qui perturbent la carburation et nous conseillent d'attendre un moment avant de repartir. Ils ont raison, nous n’aurons plus aucun problème même avec de l’essence de mauvaise qualité ; seul un nettoyage plus fréquent de la crépine du carburateur sera nécessaire. Nous faisons quelques courses dans le petit village de Nis et un peu plus loin, repérons un joli coin en bordure de rivière. Nous en profitons pour nous baigner, nous raser et faire une vraie toilette. Au menu aujourd’hui : saucisses, sardines, saucisson, pain. Il fait toujours très beau. Nous franchissons un col très difficile. À 19h, nous franchissons la frontière Bulgare sans encombre et arrivons rapidement à Sofia,capitale de la Bulgarie. Il y a peu de circulation. D'immenses portraits peints de Lénine couvrent les murs. Nous prenons des photos de nuit de la capitale tandis que Tarzan réalise une interview d'un habitant. La conversation dérive peu à peu vers la politique. Il est temps de partir ! Nous voir prendre des photos et enregistrer des gens n’a pas l’air de plaire à tout le monde…. Nous faisons une rapide visite de la ville en voiture avant de la quitter. Un peu plus loin, tard dans la soirée. On dine rapidement et on se couche sous un ciel étoilé, bien abrités entre les 2 voitures. On est bien, il ne fait pas froid. Dans le ciel, on peut observer une étoile filante.
mercredi 5 août 1970
Un peu de rosée au réveil, petit déjeuner et départ. La route est belle, pavée, sauf dans les villages où elle est en terre battue. Nous voyons des cigognes et leurs nids au sommet de troncs d'arbres. Nous repérons une fontaine au bord de la route et nous arrêtons. Nous faisons le plein d’eau fraiche et profitons de cet arrêt pour nous laver et nous raser. Roger trouve une montre oubliée, il la met à son poignet. La sienne est HS depuis Trieste. Le long de la route, de nombreux champs de tournesols. Dans les villages, les feuilles de tabac cultivé dans la région sèchent sur des portiques contre les façades. Nous arrivons à la frontière Turque en fin de matinée. Accueil des voitures. Dans les bureaux, les passeports s’empilent. Après une longue attente, nous repartons. Je prends le volant et roule pied au plancher, direction Istanbul. Edirne, premiers contacts avec les minarets qui se dressent comme des fusées près des mosquées. L'horizon en est hérissé. Nous voyons des villages de toiles, tentes rondes, certaines peintes. Dans un village de toile, une Méhari est dévalisée par les nomades. Malgré les avertissements que nous avons reçus, cet équipage s'est enfoncé dans un village pour faire des photos. A chaque arrêt, une nuée de gamins entourent les voitures. Il est impératif de fermer portières et vitres et de toujours laisser une personne en surveillance. Les enfants réclament cigarettes, bonbons, autocollants des voitures. Un comportement que nous observerons dans les 3 pays asiatiques que nous traverserons.
Dans une descente, alors que je m'apprête à doubler un bus, gros claquement… plus de freins ! Devant nous le bus se rapproche très vite. En face une charrette hippomobile monte très lentement la côte. Appel de phare, klaxon, nous passons entre les deux ! Nous nous arrêtons dans un champ en contrebas de la route. Jacques constate : la tête de cardan sortie de boite est cassée. Nous n’en n’avons pas de rechange. D'autres concurrents s'arrêtent pour voir si tout va bien. Il existe une entraide et une solidarité à toute épreuve entre les concurrents du raid. Par chance, l'un d'eux possède la pièce et nous la prête. Jacques se met au travail, remonte le cardan mais ne parvient pas à remettre l'un des clips. Malgré tout, ça tient ! Nous repartons et roulons sans relâche pour rattraper le retard. Il faut arriver à l’heure au contrôle. On doit pointer ce soir entre 17 et 21h. Une DS de l'assistance nous double à grande vitesse avec une 2cv en remorque ; ils feront les réparations à l’étape. Nous arrivons dans la ville mais quel nom faut-il lui donner ? Byzance comme au temps des Grecques, Constantinople avec ses remparts romains et la très belle Sainte Sophie ou Istanbul, quand la ville s’illumine d’enseignes lumineuses et s’anime d’une vie turbulente et bruyante ?
Le long d’une grande avenue de la capitale, des dizaines et des dizaines de 2 cv font la queue. le contrôle est là. Nous ne retrouvons plus notre carnet de route. Je vais signaler notre arrivée au contrôle mais ils ne peuvent rien faire sans ce précieux sésame ; ils nous demandent de bien chercher. On met la voiture sans dessus dessous. Finalement, on retrouve le carnet sous le siège. Il ne reste plus que 10mn avant la fin du pointage quand nous faisons tamponner le document. Ouf ! Nous sommes toujours en course.
Nous prenons une chambre au foyer des étudiants mais il n’y a que 4 lits pour 5. Roger s’installe sur le matelas pneumatique. Une vraie douche nous fait le plus grand bien. Une fois propres et changés, nous partons diner en ville. Au menu : œufs sur le plat couverts de piment et poivrons, on s’arrête à la première bouchée la bouche en feu. Nous recommandons la même chose, mais cette fois sans piment. Ça reste quand même très fort ! On nous sert de très bonnes coupes de glace en dessert.
Notre premier contact avec les faubourgs de la ville nous déçoit beaucoup. Dans les petites rues, une odeur de détritus mêlée à celle de la viande grillée flotte dans l’air. L’ensemble paraît sale. Istanbul est-elle vraiment la ville des Milles et une Nuit ? Nous retournons au campus. La police et l’armée veillent sur nos fragiles véhicules, matraque à la main. Des équipages démontent leur moteur ou une boite de vitesse à la lueur des torches. À minuit, on est au lit.
jeudi 6 août 1970
Aujourd’hui est une journée de repos. Tourisme pour les uns, bricolage pour les autres. Ce matin, petit déjeuner accompagné du fameux café turc :très court et très épais. Tout comme nous, les mécanos de l'assistance ne parviennent pas à remettre le clip au cardan. Des chocs ont abîmé la gorge. Nous retrouvons la 2cv de nos amis Picards. Ils ont des soucis mécaniques : problème de soupapes. Je souhaite me rendre chez le concessionnaire Citroën. Tandis qu’ils montent à 6 dans un taxi (grosse et vieille américaine), je suis avec la 2cv. Nous pénétrons au cœur de la ville où nous sommes absorbés dans une terrifiante circulation. On trouve pêlemêle, vieilles voitures américaines, taxis et charrettes tirées par des chevaux ornés de pompons et grelots. Tout le monde conduit à vive allure en ne respectant aucune priorité. C’est le plus bruyant qui passe à coups de klaxon, doublés de coups de poings sur les portières et le toit. Mon avertisseur à trompes m’aide beaucoup et fige les mastodontes. On traverse un marché au pas. Des porteurs d'eau et des cireurs de chaussures offrent leurs services. De grandes toiles sont tendues entre les façades pour les protéger du soleil. Les trottoirs grouillent d’une foule cosmopolite. Toute la terre s’est donné rendez-vous ici.
Nous arrivons chez le concessionnaire Citroën. D'autres 2cv m'ont précédé. Les mécanos soudent, redressent la tôle. Ils n'ont pas le cardan de sortie de boite mais peuvent finir le remontage du mien. Dans le magasin, les pièces détachées font défaut. Les équipages s’échangent ou vendent les pièces nécessaires aux réparations. Je monte à l'avant mes roues tout terrain (M+S) et retire la roue arrière qui a le petit accroc. D'un minaret tout proche, les hauts parleurs diffusent la prière. À midi, nous laissons la voiture au garage et repartons en taxi à la plage : baignade rafraîchissante dans la mer de Marmara. Le soleil nous brûle. Nous admirons l'immense ville hérissée des minarets des 1045 mosquées qui côtoient des HLM lépreux. Tout contraste ici : les couleurs, la vie, les monuments, l’habitat passant du bidonville au somptueux palais Topkapi. Nous retournons en ville à pied. Les trottoirs sont bondés de marchands de pastèque et autres fruits qu’ils véhiculent dans de petites charrettes à bras. Nous dégustons un très bon repas. Au moment de partir, Roger a oublié son portefeuille sur la table, le temps d'aller aux toilettes. Disparu ! Il a perdu 1000 frs, son permis de conduire, sa carte d'identité, plus celle de Claude. Nous retournons en ville en taxi. Les 2 autres équipages s'arrêtent au bazar. Avec Roger et Claude, nous retournons au garage. La voiture est prête. Nous payons. ils nous changent des dollars en monnaie turque. Nous voulons monter des grilles de protection devant les longues portées ; on s'aperçoit alors qu'ils ne tiennent presque plus, supports fendus. Avec l’aide des mécaniciens nous les fixons sur le tube du parechoc. Dans le garage, nous remarquons plusieurs tractions 11 et 15CV entretenues par le chef du garage comme des objets d’art. Il nous offre le thé. Parlant bien Français il nous raconte avoir eu une formation sur DS à Lyon puis Paris et avoir été mobilisé pour prêter la main aux mécaniciens de l’équipe de René Cotton lors du passage du rallye Londres Sydney en 1968. Il nous guide en traction jusqu’au parking. On gare la 2cv derrière la Dyane de Jacques et dinons tous ensemble. Je finis de bricoler mes grilles de protection des phares. Nos amis Picards, décident d'abandonner et de rentrer tranquillement en France : une soupape de leur 2CV ne ferme plus. Les 2 qui conduiront demain matin vont se coucher. Avec Jacques nous allons admirer les trésors achetés au bazar : de belles vestes en peau de mouton et cuir réversible : 120 francs.
C’est maintenant que les difficultés vont véritablement commencer : pistes en terre, passages à gué , rencontres de troupeaux isolés et autres animaux vagabondant sur la route. Tarzan nous réveille à 3h. Après un petit café, le plein d’essence (super - 0,71 Fr/litre) et la vérification de la pression des pneus, nous disons au revoir à nos amis Picards et prenons la route. Pas mal de difficultés pour rejoindre le ferry-boat. A 6 voitures nous nous enfonçons dans des ruelles très étroites de la vieille ville pas éclairée, et encore moins carrossables que les pistes. Nous craignons de rester bloqués dans le labyrinthe de ces ruelles minuscules. Le parfait endroit pour un guet-apens ! Finalement, nous débouchons sur le port et embarquons sur le bateau de 4h10. Citroën a réservé des ferrys entre 3h et 6h du matin pour permettre aux 500 voitures (sans doute un peu moins après la casse et les abandons) de traverser le Bosphore sans une attente interminable qui aurait retardé tout le monde. À cette heure matinale, la vue sur la ville et ses très nombreux minarets est magnifique. Quelques-uns profitent de ces 20mn de traversée pour replonger une nouvelle fois sous le capot, d'autres pour absorber un frugal petit déjeuner. À 4h30, dans la grisaille du jour naissant, nous débarquons sur la rive asiatique. Une nouvelle aventure commence. Cap sur Ankara. La route est bonne, le paysage très pauvre. Nous croisons quelques camions et évitons de nombreuses pierres abandonnées sur la chaussée ! Dans la matinée, nous nous arrêtons, le temps d’un petit déjeuner, d’une vidange moteur et du graissage. Roger me relaie au volant. Le long de la route, la population creuse des canaux pour irriguer les grandes plaines désertiques. En fin de matinée. Ankara est en vue. Nous passons devant l'aéroport militaire, traversons des faubourgs miséreux avant de pénétrer dans une belle ville, moderne, propre, agrémentée de jolies maisons. Seul le mausolée de Kemal Pacha Atatürk rappelle l’Orient. Ça change d'Istanbul qui ressemble à un immense bidonville. Profitant d’etre dans une grande ville, j’essaie mais ne parviens pas à trouver un cardan pour le rendre à l'équipage qui nous a dépanné. La route est belle, asphaltée, mais traverse les taudis de la banlieue. Des gamins en guenilles pataugent dans les caniveaux. Des animaux se promènent en liberté sur la route. Tout nous fait oublier la capitale administrative qui se trouve pourtant à quelques centaines de mètres derrière nous. Nous déjeunons dans une station-service dominée par une immense banderole “Bienvenue au Rallye Citroën”. Dans l'après-midi, nous traversons plusieurs villages. Les enfants lancent des pierres en direction des voitures. Notre voiture échappe miraculeusement à la casse du pare-brise et des vitres latérales, ce qui n’est pas le cas pour beaucoup d'autres. De nombreux impacts marquent la carrosserie de notre voiture. Un équipage pensant effrayer les gamins, tire un coup de pistolet d’alarme. Mauvaise idée ! Leur carrosserie s’orne bientôt d’un trou, une vraie balle tirée par un adulte. Plus loin, en pleine campagne, nous faisons une halte pour faire le plein d’essence. En quelques instants, cinq ou six gamins sortent d’on ne sait où et entourent la voiture. Partout où nous passons, ils courent derrière la voiture, réclament des cigarettes, même les très jeunes enfants. Un routier dont le camion est arrêté un peu plus loin vient nous voir. Il a une blessure au pied ; nous le soignons avant de repartir. Le soir nous nous arrêtons près de Sivas derrière une station-service. Le temps de diner, d’installer les duvets sur un tas de paille, nous nous endormons rapidement.
samedi 8 août 1970
3h30 : réveil avant que le jour se lève. Remise des joues sous le capot contre la poussière et les projections de pierres. 4h départ après le café. Le jour commence à poindre à l’horizon. Nous revoyons des cigognes et leurs nids. Elles sont encore plus nombreuses qu'en Bulgarie. Nous nous arrêtons dans le village de Sivas. Comme d’autres équipages déjà stationnés là, nous achetons du grillage sur le marché. Nous nous éloignons un peu du village pour prendre un petit déjeuner au bord de la route. On fabrique un cadre en branchages coupés sur le bas-côté de la route et sur lequel nous fixons le grillage ; Jacques et Tarzan font de même pour la Dyane. La protection du pare-brise a l’air efficace. L’écran en plexiglas que j'avais prévu au départ est trouble et fatigue les yeux. On ajoute un peu de ruban adhésif sur les vitres latérales et lunette arrière. Roger prend le volant. C'est la période des moissons. Elles occupent tous les villageois. Les gerbes sont étalées en cercle sur l’aire de battage et piétinées par des chevaux, des vaches, des bœufs ou battues au fléau par les femmes. Fourrage et grains sont stockés sur les toits plats des maisons. Dans ces villages, on voit aussi de grandes pyramides de bouse de vache qui sèchent au soleil ; la bouse servira de combustible pour le prochain hiver car il y a très peu de bois dans cette région. Après quelques km, la route est encore en construction, le goudron est liquide ; il vient d'être répandu. Une fois franchie cette portion de route, les voitures s'arrêtent, du goudron jusqu'au milieu des portières et des ailes arrière. Un nettoyage rapide à l'essence permet de se débarrasser des taches. Le break d’assistance Total est couvert de traces noires. D’autres qui pilotent une méhari, ont du goudron jusque sur leurs bagages. Nous reprenons la piste. Soudain elle est barrée par une rangée de pierres. Le pont qui doit franchir l'oued n'est pas encore construit. Nous quittons la piste, descendons en contrebas et traversons l'oued. Le soleil, très vif, reflète sur notre grillage de protection du pare-brise et nous éblouit. Nous pratiquons une petite découpe au milieu, au niveau du champ de vision. On attaque maintenant la piste de montagne mentionnée comme « difficile » par l’équipe de reconnaissance Citroën: des pistes de pierres ou de terre, accompagnées de beaucoup de poussière. Devant nous une 2cv dérape et part au fossé. Pas de mal, nous la remettons sur la route. Nous déjeunons en contrebas de la piste près d'un ruisseau et en profitons pour faire un brin de toilette. Je constate la perte d'une joue de capot. Nous reprenons la piste, la route des oueds. Le premier est franchi sans encombre. Au 2ème, Jacques le prend au mauvais endroit et s'enlise. À plusieurs, nous poussons la voiture pour la sortir. Plusieurs 2cv calent au milieu du gué, moteur noyé. D’autres choisissent de prendre de la vitesse en soulevant de grandes gerbes d’eau.
A 20h, nous arrivons à Erzurum, 1h avant la fermeture du contrôle. Des affiches nous informent que les relations publiques Citroën sont noyées d'appels téléphoniques : nous ne donnons pas assez de nouvelles aux familles. Les chambres qu’on nous propose sont trop chères. Nous garons nos 2 voitures près d'un petit abri pour dîner. Je resserre les phares longue portée, 2 vis sont déjà perdues. Beaucoup d'équipages sont plongés dans la mécanique. Au bord de la piste, un moteur est sorti pour changer l'embrayage. D’autres redressent des jantes, remplacent des chambres à air. Pour nous, pas de problème. Les concurrents discutent très tard sur les difficultés rencontrées dans la journée. Le matelas pneumatique de Jacques crève sur de petits morceaux de verre. Ce soir, nous dormons dans la voiture.
Réveil, café, départ. Nous suivons une piste sinueuse en haute montagne. Nous franchissons plusieurs cols, parfois en première. Peu avant la frontière Iranienne, nous faisons un arrêt en face du mont Ararat. Le sommet de ce volcan culmine à plus de 5100 m. Il est couvert de neiges éternelles. C'est là que se serait échouée l'arche de Noé selon la Bible. Malgré de nombreuses expéditions, aucun fragment n’a jamais été retrouvé. À côté de nous, passe un cavalier, fier et majestueux sur sa monture. À 12h30, nous atteignons la frontière. Les Turcs ramassent les passeports, puis les documents de sortie du véhicule. A Bazargan, la frontière iranienne, on repart pour une série de formalités : visa d'entrée, passeport, contrôle du carnet de vaccination, passage en douane de la voiture. Des cartes routières nous sont remises, des enveloppes d'argent sont prêtes pour le change. Les douaniers sont épouvantés devant la pile de de passeports. À partir d’ici, les chiffres et l’écriture sont en arabe. Les chiffres sont vite appris, l’écriture iranienne est doublée en français. À 15h30, nous déjeunons un peu plus loin sous un pont, seule ombre trouvée. La chaleur est de plus en plus intense. La purée, préparée pour le déjeuner est très épaisse ! Claude tout en discutant avec d’autres équipages, met son assiette à la verticale. La purée reste collée à l’assiette ! Nous roulons tout l’après-midi. Nous croisons des semi-remorques chargés de tapis en direction de la Grande Bretagne. Un voyant rouge s'allume au tableau de bord : panne de dynamo. Nous sommes en pleine nuit. Je fais passer la Dyane devant pour éclairer la route. Quelques kilomètres plus loin, nous nous arrêtons derrière une station-service. Nous avons l'intention de rouler encore, mais ne voulons pas prendre le risque de mettre la batterie complètement à plat. Jacques démonte le ventilo. Une fois le ventilateur enlevé on ne voit plus qu’un bloc de poussière ! Il souffle la poussière avec le gonfleur du matelas, change les charbons dont un est cassé. Tout ça est vite réparé mais nous décidons de rester là ce soir. On se couchent près des voitures à la belle étoile. Jacques répare son matelas avec plusieurs rustines. Les nuits sont beaucoup moins froides qu’en montagne, et même douces.
lundi 10 août 1970
Nous commençons la journée par un copieux petit déjeuner. Un Iranien remplit nos réserves d’eau. La route est belle mais un peu plus loin, une DS de l'assistance est immobilisée sur la route, l’avant écrasé. En face le camion percuté git dans le fossé. Seul le chauffeur du camion est blessé. Les 2 mécanos de la DS accidentée, ont continué à bord d'une autre DS. Dans Tabriz, on croiseune 2cv très endommagée chargée sur un camion, elle va être rapatriée. Nous faisons quelques courses, achetons en particulier du beau raisin pas cher. Plus loin, nous passons une méhari retournée dans le fossé, complètement disloquée ; l'équipage, (3 garçons) en sort indemne. Ils ont été éjectés au moment du choc. Ici, en Iran, la population parait beaucoup plus civilisée qu’en Turquie. Les enfants échangent des boîtes d'allumettes et des timbres, des pièces de monnaie. Beaucoup parlent Français. Nous continuons notre route. Nous ne pouvons pas faire 20 km sans voir un véhicule dans le fossé, pour la plupart, des camions très surchargés de ballots mal répartis. Les automobilistes en panne abandonnent leur voiture sur la route. Avant de partir ils entourent le véhicule de pierres en guise de signalisation mais ils oublient de les retirer quand ils reprennent la route, une fois la voiture réparée. Un vrai danger pour les automobilistes. Il y a aussi de nombreux cadavres d'animaux, moutons, chiens qui ne sont jamais enlevés. Il faut dire qu’ils surgissent souvent du fossé sans crier gare. Les cadavres d'ânes morts de fatigue ou de vieillesse sont aussi fréquents sur la route. Les rapaces se chargent de tous ces animaux et les camions des carcasses. Nos pare-chocs hauts et les grillages sont là pour protéger l’avant de la voiture (capot, phares, ventilo). Sur cette route pourtant belle, il y a de nombreux accidents. Il n’est pas rare de voir en haut d’un impressionnant chargement un troupeau de moutons gardé par 2 ou 3 hommes. Un camion ainsi chargé est renversé dans un champ, les moutons gisent parmi les ballots. On passe de nombreux tunnels sombres. Ils abritent des trous très profonds qui pourraient briser une suspension. Le soir sur l'autoroute à péage (gratuit pour nous), nous prenons la direction de Téhéran. Ici et là, quelques enfants lancent encore des cailloux.
Téhéran : le contrôle est déplacé à l’école Rega Schah. La traversée de la ville se révèle très périlleuse : circulation rapide, non-respect des priorités ; voitures et vélos passent et se croisent dans tous les sens. Des motards nous prennent en charge et nous conduisent à travers les embouteillages dans le parc du lycée où nous arrivons à 19h45. Les organisateurs ont bien fait les choses. L’automobile club Iranien a installé un bureau de renseignements à côté du bureau de contrôle. Casse-croûte et coca cola à volonté sont offerts. Le concessionnaire Citroën de Téhéran est venu avec deux 2cv atelier pour effectuer sur place les petites réparations. On croise une fille du raid qui nous confie ses impressions de voyage depuis le départ. Il est grand temps d’aller nous laver. Nous sommes très sales et pas rasés depuis 5 jours. La piscine, normalement fermée à 17h, nous est ouverte jusqu'à 22h. Baignade pour tout le monde. Le moral est excellent. Ceux qui ont la mauvaise idée d’apparaitre habillés dans l'enceinte de la piscine sont précipités tout habillés à l'eau. Le bain nous fait beaucoup de bien, nous remet en forme. Des journalistes mitraillent. Une fois changés, nous nous offrons une petite promenade en ville entre 22 et 23h. Un Iranien ayant fait ses études en France nous invite à passer quelques jours chez lui. Nous devons refuser son offre généreuse en lui expliquant que nous repartons dès le lendemain. Au retour nous discutons avec le propriétaire d'une Méhari. Il est passé par une autre route, très difficile. A 3 voitures ; ils ont été pris par la nuit en pleine montagne et sont tombés sur un barrage de truands, mais à 3 voitures ils n'ont pas été attaqués. La nuit est douce, 28° à 23h30. (Dans la journée, il fait 40° !). Les jardins sont éclairés, le terrain de sport est couvert de tentes et de matelas. Nous installons les matelas sur la pelouse et dormons en maillot de bain. J'ai du mal à trouver le sommeil, je complète le carnet de bord.
Lever rapide à 7h. Nous avons bien dormi sur la pelouse, mais avons été réveillés par les jets d'eau de l'arrosage automatique. Les 4 collègues sont partis à la piscine. 8h15 le soleil brille, déjà : 37°. On prend un bon petit déjeuner. Je prends un taxi avec Jacques pour aller à la succursale Citroën de Téhéran acheter des pièces détachées. Acquisition par précaution d'un disque et butée d'embrayage, d’un réfrigérateur d’huile, d’un cardan sortie de boite avec croisillon. Pour la Dyane, on repart avec des cartouches de filtre à air et un disque d'embrayage. D’autres équipages trouvent enfin les pièces qui leur sont nécessaires. L’atelier travaille jour et nuit le temps de notre passage. À Téhéran une usine Citroën assemble les Dyane (Jyane). Nous sommes de retour à 11h. Un gradé de l'armée nous a pris en stop pendant que nous attendions un taxi. Il nous ramène au lycée et nous souhaite bonne chance pour la suite. Il refuse tout dédommagement ! Roger et Claude ont acheté des cartes postales et des timbres. J'écris à la famille et à Pierrot, mon ami mécano qui a si bien préparé la voiture. Roger a changé une roue arrière, le pneu abîmé. Au déjeuner : poisson et pâtes. Inscription des noms de l'équipage au feutre sur les côtés du capot.
13h30 : départ. Nous postons les cartes postales en traversant la ville. Dès la sortie, j'attaque la montée de l’Elbourz, une route de montagne. Les Iraniens roulent vite, ont du mal à contrôler la trajectoire de leur véhicule dans les virages et doublent souvent sans visibilité. Je suis au volant. Nous voyons des installations de ski probablement très fréquentées en hiver. En cette saison, ce sont les chaîranés, sorte de café guinguette qui bordent la route et rafraîchissent les habitants de Téhéran. 15h, arrêt en pleine montagne, Jacques est en panne de pompe à essence. En plein soleil, sur la tôle, le thermomètre indique 60°. Jacques monte la pompe que j’avais en secours. Réparation faite, nous démarrons. L’air brassé par la vitesse nous semble plus frais. Nous terminons la traversée de la montagne par un col à 2800 m. Une 2cv est immobilisée le long de la piste. La caisse est désolidarisée du châssis pour refixer le train arrière. À la sortie d'un tunnel, le paysage change d’un coup. Nous retrouvons des forêts et des prairies bien vertes. Le temps se couvre. Maintenant, il pleut. Ca dure 1 heure, la 1ére pluie depuis notre départ. Nous devons nous couvrir un peu pour ne pas attraper froid. Nous ne sommes pas loin de la mer, tout est vert, il y a des arbres. Roger me relaie au volant. Nous profitons d’un très beau coucher de soleil au-dessus de la piste. Les voitures que nous croisons roulent en plein phare. Nous nous arrêtons dans un hôtel-restaurant pour diner. Nous mangeons bien : du poulet et du mouton rôti et buvons coca et bière. Dans la salle du restaurant, où qu’on regarde, on trouve partout des photos du Shah et de l'impératrice. Nous discutons avec des Allemands qui reviennent d'Afghanistan et du Pakistan. Un équipage nous change 15 frs en argent Iranien ; ils doivent repartir à Téhéran, ils ont oublié leurs passeports à l'hôtel. Nous prenons 2 chambres, une à 4 lits et une à 2 lits avec tapis, lavabo, douche et WC. Il y a longtemps que nous n’avons pas bénéficié d’un tel luxe. Nous montons les objets de valeurs, papiers, matériel photos, le magnétophone dans les chambres. Les fenêtres sont ouvertes mais heureusement munies de moustiquaires. A la réception, nous remplissons le registre, payons et demandons à être réveillés à 3h30 du matin. Nous dormons en maillot de bain.
mercredi 12 août 1970
5h10 ! Nous sommes en retard, personne ne nous a pas réveillés, tout l'hôtel dort. Tant pis pour le petit déjeuner. On se met en route à 5h30. Au bout d’1 km je m'aperçois que j’ai oublié mon portefeuille. Demi-tour. Le portefeuille retrouvé sur un meuble, nous repartons. Tout est calme à cette heure, il y a peu de circulation. Vers 9h30, nous sommes à Shah-Passand. C’est là que démarre les 408 km de piste tant redoutés. Beaucoup d’équipages s'arrêtent pour vérifier le niveau d’huile et l’état des pneus. De notre côté, nous faisons une vidange, le graissage, ajoutons des herbes de protection entre grilles et verres des phares, remontons les 2 pneus X les moins bons, ls regonflons. Enfin, on installe le grillage de protection pare-brise. La voiture est prête, le petit déjeuner aussi. Un équipage féminin en Méhari s'arrête : pas de contrôle de la voiture pour ces dames, mais sortie des maillots de bain et de la crème solaire… Comme à chaque arrêt des groupes de locaux se forment et nous observent avec curiosité.
Nous laissons la capote ouverte pour me permettre de faire des photos debout. Je reçois beaucoup de poussière et dois me protéger le nez et la bouche avec un mouchoir et la tête avec un chapeau. Pour tout vêtement, je ne porte qu’un boxer short. Claude démarre dans cet enfer de chaleur, de poussière et de pierres. Nous roulons à 40 / 50 km/h. La voiture grince de partout, les suspensions travaillent beaucoup. Des pierres, toujours des pierres, plus ou moins grosses. Les jantes cognent. Grâce à un oued, une petite forêt longe l’étroite vallée. Nous nous y arrêtons quelques minutes pour nous rafraîchir. Comme en Turquie, des engins de chantier préparent une route parallèle à la piste. Dans quelques années, l'asphalte remplacera les pistes, les ponts enjamberont les oueds. Mais où sera alors l’aventure ? Seul l'écrasant soleil sera toujours au rdv.
Nous traversons plusieurs fois l’oued. Les camions roulent très vite, projetant des pierres et des gerbes d’eau. Ils soulèvent aussi d’énormes nuages de poussière. La visibilité s'arrête au pare-brise ! Les cars aussi nous obligent à la prudence. Leur vitesse les fait chasser dans les virages. Toujours de nombreux accidents le long de la route : camions renversés, voitures pulvérisées. Nous passons près de deux cars qui se sont télescopés de face. Les passagers attendent patiemment qu’on vienne les chercher. Nous nous arrêtons dans un village où toutes les maisons en terre sont carrées. Nous y achetons six pastèques. On s'essuie le visage, la sueur colle, une épaisse couche de poussière nous recouvre. Les cheveux, le corps, les vêtements, tout est de la même couleur ; celle de la piste. À Shivran, nous trouvons du Coca cola ! Encore et toujours la piste, du sable, des pierres, des montées toujours plus raides en 1ére et des descentes vertigineuses. Nous sommes doublés par les uns ou doublons d’autres concurrents, toujours un petit geste amical au passage. On passe un camp de nomades, les tentes en peau noire contrastent dans le paysage pâle. Les dromadaires cherchent les rares touffes d’herbes dans l’étendue de sable. Nos yeux sont fatigués par la forte lumière. Nous apprécions nos pneus piste, ils résistent parfaitement aux pierres. Le soleil derrière nous atteint la ligne d’horizon et dore le sable. Le spectacle du coucher de soleil est magnifique. Mais quand cette piste va-t-elle enfin finir ? De nuit, les phares cherchent à repérer les trous et les grosses pierres. La « tôle ondulée » est bientôt aussi au rdv. Les poids lourds toujours aussi fous, nous éblouissent. Quand enfin, les lumières de Ghoochan apparaissent, il est 20h. Nous y trouvons l’animation d’une petite ville. Nous achetons des fruits et repartons. La route est maintenant excellente. À 30km de Mashhad, lassés de la conduite de nuit, nous nous arrêtons. Il est 22h20. Après un rapide dîner frugal, -sardines, cornet de bœuf, pâtes et raisin- nous nous endormons rapidement.
jeudi 13 août 1970
Lever 5h, il fait 14°. Le temps de tout ranger, de prendre un café, nous reprenons la route à 6h et atteignons Mashhad, ville sainte, 45 minutes plus tard. Des banderoles sont suspendues au-dessus de la rue principale : « Bienvenue à Mashhad au rallye Citroën». Des pancartes fléchées nous guident jusqu’au lycée technique. Dans le parc, des équipages replient leur couchage. Nous regrettons de ne pas avoir poussé jusque-là la veille au soir. Le lycée nous offrait l’hospitalité. Les grands lavabos mis à notre disposition nous permettent de décoller la couche de poussière qui nous colle à la peau et de faire une vraie toilette. Un grand bassin avec jets d’eau sert de piscine, nous avons l’autorisation de nous y baigner. Du personnel sert du thé à volonté à qui veut. Le concessionnaire Citroën de Téhéran est là avec une camionnette 2cv atelier. Les mécaniciens promulguent des conseils aux concurrents et proposent leur aide pour réparer transmissions et suspensions abîmées. A 7h30, nous quittons Mashhad. Avec le sentiment de quitter une oasis. Nous sommes très près de l’URSS, 150 km environ. Les Turkmènes portent ici des coiffes en astrakan. Nous faisons le plein à la sortie de la ville (- 0,52 fr/litre en Iran) mais l’essence est de plus en plus mauvaise qualité. Nous prenons la route asphaltée mais en assez mauvais état, alternant avec des tronçons de piste. De chaque côté, une plaine de sable à perte de vue. Un peu plus loin, une belle route asphaltée s’offre à nous mais ceux qui ont reconnu le parcours nous ont avertis : « Les ponts au-dessus des oueds ne sont pas construits et la route s'arrête souvent d’un seulcoup, sans signalisation. Seul quelques pierres barrent le passage”. Toute la matinée la piste et l’asphalte alternent. Sur la « tôle ondulée », nous roulons assez vite pour diminuer les trépidations qu’elle occasionne à faible vitesse. 70 à 80 km/h est le mieux adapté. Le vent souffle assez fort. De l'étendue de sable, de petites tornades montent en cône tournoyant vers le ciel. Un pneu de la Dyane éclate et doit être changé. Le pneu a été lacéré par une pierre. A Torbat-e-San, nous nous arrêtons dans une chïranés (relais routier), pour boire un Coca bien frais ce qui est rare mais aussi bien plus cher que le thé. Les 33cl coûtent 0,23 Fr. Deux DS de l’assistance arrivent, dont celle de Nadine Karmazin arrivent à leur tour. Nous discutons un moment. À 11h on reprend la route. Encore quelques tronçons de piste mais principalement de la route asphaltée. Nous roulons bien, 80 km/h sur la piste à travers une étendue désertique. Le vent rabat le sable. Le paysage est de plus en plus monotone. À midi, nous atteignons Taiebat, lafrontière de sortie d’Iran. Pas un pouce d’ombre. Longue attente sous 42°. Les douaniers débordés crayonnent des tas de registres. Pas satisfaits de nos noms, ils préfèrent les prénoms, Pierre, Paul, Jacques. Ne pas s’étonner si la voiture est soudainement immatriculée 25-6-1949 de marque AZA et si je suis né le 9151Y93. Un douanier exige du chauffeur d’une DS que Monsieur Société Anonyme Citroën se présente en personne… Enfin nous sommes déclarés « en règle » et pouvons quitter le pays, le passeport chargé de tampons. Nous pénétrons dans le no man's land de 20 km qui sépare l’Iran de l’Afghanistan. Des tentes sont érigées dans le désert. ¨Plusieurs 2cv attendent devant la barrière, c’est la douane afghane.Peu de vent pour nous rafraîchir, plus de coca, que de l'eau. L’attente est très longue. 13h30, notre tour arrive. On obtient un visa. Je veux changer des traveller’s, mais c’est toute une histoire ; je dois signer une dizaine de fois avant qu'ils trouvent ma signature conforme. Bien que les fonctionnaires prennent leur temps pour siroter leur éternel thé, le reste des formalités est assez rapide. On nous remet une carte routière et un laisser passer pour les barrières de péages. Même en Afghanistan, il y a des péages ! Les barrières sont généralement de grosses branches d’arbre posées en travers de la route et gardées par des militaires. Pour la dernière fois, nous avançons encore nos montres d’une heure. La route est très bonne jusqu'à Hératque nous atteignons par une large avenue bordée d’arbres.
Nous sommes stupéfaits de l'accueil. La population doit encore se souvenir du célèbre marathon Londres Sydney de 1968. À l’époque, Lucien Bianchi et Jean Luc Ogier sur DS 21 avaient largement dominé le marathon jusqu’à l’avant dernière étape en Australie où à 240 Km de l'arrivée, des jeunes conducteurs les avaient télescopés. La circulation est interrompue, la foule se presse, applaudit, agite des morceaux de tissus. Une véritable haie d’honneur. Policiers et militaires stationnés tous les 50m nous saluent au passage et nous indiquent la direction à suivre. Les voitures sont parquées à l’université. À 18h, 2h avant la fermeture du contrôle, on fait tamponner nos carnets de route. Une piscine est ouverte mais elle est payante. Nous y allons pour nous rafraichir. Ça nous fait du bien. Jacques, le seul de notre équipe à ne pas savoir nager glisse sur une marche, Roger doit le repêcher. Un petit bureau de poste est installé à proximité. Nous achetons des cartes postales et des timbres. Ce soir, nous nous offrons le restaurant : premier shish kébab, (riz et boulettes de mouton) que nous payons un peu cher pour le pays. J'apprends par le contrôle que si nous étions 489 au départ de Rungis et 380 au contrôle de Téhéran, ce soir à Hérat, seules 290 voitures ont pointé à 20h45. Nous nous couchons à côté des voitures. Il est 21h, il fait 28°. La police surveille les voitures matraque à la main. Un vent léger se lève. Nous nous endormons en pensant à Kessel, Tamerlan, au pays moyenâgeux qu’il nous reste à découvrir. Au compteur 92691 km, soit 7091 km depuis le départ.
On se lève à 5h30 du matin, il fait froid en sortant des duvets :14°. Pendant que le café chauffe, je change mes roues arrière (nous remontons celles avec les meilleurs pneus). La route est bonne jusqu'à Kaboul. Je fais l’appoint d'huile. Pendant que je sirote mon café, deux Français nous parlent d'un détour qu'ils ont fait en Turquie par la Cappadoce. Peut-être pourrions-nous faire la même chose au retour ? 8h45, on sort de la ville mais devons faire demi-tour, à la recherche d'une station essence. Nous croisons des fiacres et voitures à chevaux peintes en couleurs vives. Les harnachements des chevaux sont ornés de pompons et de clochettes. A la station essence, plusieurs Afghans se relaient au balancier de la pompe à main pour remplir nos réservoirs et les jerricans de nos 2cv. Les DS c'est 80 à 100 litres qu'elles absorbent. Nos pompistes ne chôment pas ! Nous croisons nos premiers camions afghans. Ce sont de vieilles mécaniques montées entre des planches ; les ridelles ressemblent à de vraies galeries de peintures représentant paysages, animaux, ou versets du coran. La décoration passe bien avant la sécurité, sur ces véhicules souvent dépourvus de lumière et de carrosserie. Nous apprenons qu'en une semaine, le prix des marchandises a triplé, voir quadruplé depuis l'arrivée inhabituelle d'un aussi grand nombre de touristes dans le pays. Sitôt sorti de la ville, on retrouve le désert. Au loin, dans la brume, nous apercevons une chaîne de montagne parallèle à notre route, la route du centre. La piste elle, passe par cette chaîne de montagnes. Pas moins de 38 cols dont certains à plus de 3000 mètres d'altitude. Malgré la supposée grande beauté des paysages, nous ne disposons pas de suffisamment de temps pour nous aventurer dans de telles difficultés. Pourtant en moi même la tentation est forte. Nous passons devant des moulins à vent à l’allure bizarre. Les ailes tournent lentement à la verticale entre des murs en terre. En bordure de la route, on aperçoit ce qui a dû être une place forte. C’est un très grand édifice entouré d'une haute et épaisse muraille en terre, usée par le temps et le vent. Nous pénétrons en voiture dans l’enceinte. Je prends des photos. On visite un très important ancien caravansérail, en ruine lui aussi. On monte à l’étage, les marches bien que très usées sont encore praticables. Au loin, plusieurs dromadaires broutent près de la route. J’aimerais faire quelques photos de dromadaires en pleine course, je m’installe debout à l'arrière. Claude lance la voiture et engage la poursuite mais la piste s'arrête brusquement et il faut abandonner.
À 11h, nus faisons escale à Farah Saadoù se trouve un hôtel avec piscine et une station d'essence. La chaleur est accablante. Nous nous baignons. L'eau est très sale mais nous rafraîchit. Au menu aujourd’hui : omelette et thé. Quand nous repartons à 13h30, la chaleur torride. Nous décapotons. Je suis au volant. Même en roulant à près de 90 km/h, le thermomètre affiche 47° ! Nos bouches sont pâteuses, les lèvres enflées et desséchées. Les km défilent, interminables. Nous stoppons à une Tchaï Kama, - très rare sur cette portion de route – une sorte d'auberge en terre et bois comme toutes les constructions du pays. Assis sur un tapis à l'ombre d'une avancée en branchages desséchés, des équipages de 2cv en shorts ou maillots de bain côtoient les Afghans portant d'amples vêtements, pantalons larges et longues tuniques avec un turban noué sur la tête. Un enfant, jeune batcha (serveur), nous amène le traditionnel tchaï sabz (thé vert) et une pastèque. Ne buvant pas de thé, il m'amène un litre d'eau maintenue fraîche dans des grandes jarres en terre. Je la bois après y avoir plongé une tablette désinfectante. L'eau n'étant pas potable dans ce pays sauf dans quelques grands hôtels, nous avons un bon stock de ces pastilles miracles. Nos 2cv sont arrêtées près de camions. Les chauffeurs, pourtant habitués à la chaleur, ne roulent pas à cette heure-là ; ils font la sieste sous leurs engins une cruche d'eau à proximité. Claude se fait asperger par un jeune batcha, avec l'eau d'un fût de 200 litres, le patron afghan le dispute, c'est de l'eau pour le thé à ne pas gaspiller. Dès que l’on retourne sur la route, l'enfer reprend. Nous nous arrêtons souvent pour puiser dans notre vache à eau suspendue au fixe-au-toit arrière. L’eau y reste fraiche. La lutte contre la déshydratation est engagée. Dans un village, un camion-citerne militaire nous sert des verres d'eau au bord de la route. Nous mangeons une pastèque. Toujours 47°dans la voiture en roulant à 80 km/h décapoté et vitres ouvertes.
Nous arrivons enfin à Kandahar, grande ville à mi-parcours entre Hérat et Kaboul. La rue commerçante où nous arrivons sent très mauvais. À un grand étalage, nous achetons des tomates, du raisin et d’autres fruits beaux et pas chers. De l'autre côté de la rue, un boucher expose ses quartiers de viandes pendus à une branche par des ficelles. D'énormes mouches courent dessus. Plus loin, un charmeur de serpents fait sortir le reptile de son panier au son de sa flûte. Dans le centre de la ville, nous nous arrêtons comme beaucoup d’autres concurrents en bordure d'une place. Les Afghans ont le regard fier, se tiennent très droits, portent barbe noire et turban sur la tête. On remarque qu’il y a une grande quantité de vélos. On nous propose du haschich à 10 $ le kilo ; nous ne sommes pas clients pour ce produit national. Nous traversons un quartier d'apparence luxueuse pour le pays, nous atteignons une place où nous admirons la seule pelouse de la ville et une belle porte couverte de mosaïques à l'autre extrémité. Claude change 40 dollars. On achète du pain. La police et les militaires postés tous les 50m nous indiquent la direction à suivre. Nous arrivons à l'aéroport international construit par les Américains. La grande piste pourrait recevoir des avions supersoniques ! Or seuls deux avions par semaine se posent ici. À proximité, on trouve un magnifique complexe avec piscine, restaurant et air conditionné. 400 personnes travaillent sur ce site. Nous trouvons un bar. Les prix nous surprennent, la bière à 7,5 frs, le coca-cola à 5 Fr et le double whisky à 2,5 Fr. Après la piscine, nous repassons au bar avant d'entrer au restaurant. La soupe est trop salée, les œufs beauregard-frites ne sont pas très bons, surtout les frites. La citronnade et le café sont imbuvables. Le tout pour 325 afghanis (7 afghanis = 1Fr).
Nouveau départ à 22h. La température est maintenant très supportable, 32°. Le plein d'essence est fait, Roger conduit, Claude dort. La Dyane suit. Nous faisons de nombreux arrêts. Je monte avec Jacques qui conduit la Dyane. Il a peur de s'endormir, Tarzan dort. Seuls nos phares percent l'obscurité, aucune lumière alentour. À un arrêt, une Dyane 6 stoppe près de nous, ils ont peur de continuer seuls. Deux autres 2cv s'arrêtent aussi pensant que nous avons des ennuis. Les 3 véhicules repartent ensemble. Quand Jacques s'arrête à nouveau, très fatigué par cette journée torride, c'est Claude qui prend le volant de la Dyane, Jacques à ses côtés, Tarzan dort.
samedi 15 août 1970
2 h du matin, 27° ! Roger s’arrête à son tour, coup de barre. Nous décidons de ne pas rallier Kaboulcette nuit. Nous quittons la route et installons notre campement à quelques dizaines de mètres. Nous dormons sur le sable entre les voitures. Réveil à 6h du matin. Il fait jour. Une interminable caravane passe à proximité. Le défilé dure 1h30 durant laquelle nous rangeons notre couchage et petit-déjeunons. Les dromadaires portent de lourdes charges et de jeunes enfants. Les ânes bâtés, les moutons, les chiens suivent à la queue leu leu. Certaines personnes viennent nous voir. Soudain une pastèque lancée s’écrase près de nous, l'homme s'approche, soulève la pastèque et nous découvrons un gros scorpion écrasé. Une vieille femme nous tend une boite et nous montre notre bidon d'huile moteur, nous remplissons sont petit récipient, elle repart. Nous partageons notre pain (grande galette plate) avec un vieillard barbu. Dans le désert, les femmes ne sont pas voilées. Seules les femmes âgées s'approchent de nous. Je sors le polaroïd et prend Jacques devant sa voiture, puis Tarzan et Claude avec un chamelier. À 7h30, nous reprenons la route. Peu de temps après, nous découvrons un camion sur le flanc et une DS de l'assistance avec l’avant écrasé. c'est la 2ème que nous voyons depuis le départ. Les occupants sont indemnes. À 8h30 nous décapotons, il fait 25°. Deux heures après, nous arrivons à Kaboul et stationnons au parking de l'université. Notre but est atteint ! Nous sommes la 53ème voiture à arriver. Le contrôle n’ouvre que dans 45 minutes ! 93906 km au compteur soit 8306 km depuis le départ.
Nous prenons une chambre à l'université. Les étudiants sont en vacances, les chambres sont mises à la disposition des équipages du raid. La chambre est pour 8 personnes, 3 autres concurrents emménagent avec nous. La chambre est en 2 parties, séparées par de grands placards. Sous les fenêtres de grands bureaux avec tiroirs. 4 lits superposés de chaque côté. Nous rangeons nos affaires. On se douche (longuement), on se rase, on lave quelques vêtements puis on prend le temps d’écrire quelques cartes postales. À 14h, je pars avec Jacques en Dyane au contrôleinstallé à l'entrée de la ville. Une ambiance de fête règne au contrôle. De chaque côté de la route, la police et l'armée en grande tenue se tiennent au garde à vous. Des motards escortent les voitures. Au-dessus des tentes installées par Citroën, les drapeaux du pays claquent au vent. La Dyane est contrôlée, mais pas ma voiture. Il faut que le propriétaire du véhicule se présente au volant de sa propre voiture au contrôle. Cela afin d'éviter qu'un membre d'un équipage d'une voiture en panne ou pas encore arrivée suite à des difficultés puisse faire pointer son carnet de route. Me voilà obligé de retourner à l’université chercher la 2cv pour me présenter au contrôle au volant. Les carnets sont ramassés. Ils seront rendus aux équipages le jour du départ.
L'université n'ayant plus de repas à offrir, nous partons déjeuner à l'hôtel Intercontinental, un très bel hôtel, construit par les Américains comme la route du sud que nous avons empruntée. La route du centre, plus difficile à été construite par les Russes, celle du nord très déconseillée est une piste de montagne très difficile. L'équipe Citroën d’assistance et ceux qui le désirent logent à cet hôtel, mais il faut débourser 19 dollars la chambre alors que nous payons 1 dollars à l'université. Comme il est 15h, nous sommes seuls dans la salle du restaurant, l’air conditionné est particulièrement apprécié. Une nouvelle fois, on goute un double whisky à l'apéro, c'est toujours la boisson la moins chère après l'eau et le thé ! Nous déjeunons, assez bien. On nous sert une sorte d'omelette, de la soupe, des spaghettis. On termine avec une glace et un petit café. Il est 17h15 quand nous sortons de table, le service était très long ! Nous passons au un salon où nous retrouvons d'autres équipages qui profitent de l’air conditionné. Nous achetons plein de cartes postales, puis armés de stylos et de courage nous écrivons les cartes (21 pour ma part) tout en consommant alternativement whisky et coca bien frais. On finit dans la piscine avant de rentrer vers 19h30 à l'université. Il fait nuit. Nous assistons à la relève des gardes qui surveillent le parking. Pas de manœuvre ou de salut militaire, seulement un échange informel. Certains soldats se prennent par le cou et s'embrassent ou partent deux par deux se tenant par la main ce qui nous surprend beaucoup. Dans le grand hall de l’université, de nombreux commerçants ont installé de véritables boutiques pour l'occasion. On trouve des vêtements, des manteaux, des armes anciennes, des bijoux de pacotilles, des objets en argent pas chers. Un connaisseur pourrait sans doute faire de bonnes affaires. Un bureau de poste est aussi installé dans le hall. Nous prenons le temps de choisir de jolis timbres et postons le courrier. Il est maintenant l’heure d’aller nous coucher.
dimanche 16 août 1970
Journée de repos. Lever à 8h (une vraie grasse matinée !) Au petit déjeuner, thé, lait, confiture, pain et beurre (pas très frais). Je bois surtout du lait. Claude, Roger et Tarzan partent se promener en ville. Claude prend l'appareil photo. Avec Jacques, nous allons au parking pour nous occuper de l'entretien des voitures. Un grand nombre d'équipages fait comme nous. Vidange, nettoyage du filtre à air dans bain d'huile et du moteur à l'essence ; changement des bougies, nettoyage de la dynamo et des charbons ; dépoussiérage et réglage des freins. Ils ont perdu en efficacité après quelques milliers de km. Il fait très chaud, il n’y a pas d'ombre sur le parking. Certains remplacent des pneus, redressent des jantes. Des moteurs sont sortis, des embrayages refaits, ou la segmentation revue. Une équipe tchécoslovaque à court d'argent, propose ses services aux concurrents moins à l’aise en mécanique. Les pièces détachées s'échangent ou se vendent. Ce voyage aller a été assez éprouvant. Nous apprenons qu'un couple de jeunes mariés a fini par se séparer s après une dispute. Vivre 15h par jour ou plus, à deux, à trois voire quatre personnes dans un espace aussi confiné qu'une voiture avec en prime, la chaleur, la poussière et la fatigue laisse des traces. L’énervement de l'un peut vite déclencher un orage dans le groupe. À Téhéran,un gars a vu partir son équipier avec sa voiture et ses papiers ; un autre refuse de ramener ses équipiers en France. En revanche, des amitiés sont nées, de nouveaux équipages se forment. Pas de problème dans notre groupe. Quelques petites disputes sans gravité ont éclaté en route mais surtout, l'amitié avec nos amis Jacques et Tarzan s’est renforcée. Avant d’aller déjeuner, j'achète un bracelet et deux bagues.
Une personne organise une visite de la vallée de Bâmiyânen avion et recherche 14 participants. Bâmiyân est un des sites touristiques majeurs du pays. À table, (déjeuner médiocre), je parle de la visite de Bamiyan à mes compagnons. Comme l'excursion coûte 20 dollars, il est décidé que c’est moi qui irai, seul, avec tout le matériel photo. Jacques retourne aux voitures avec Roger et Claude. Tarzan lave la vaisselle et termine la lessive. Je pars avec un gars en ville. Il me dépose au bazar. Je demande le chemin pour l'ambassade. Une personne qui parle Français me fait prendre un car et m'accompagne. Nous sommes terriblement tassés dans le véhicule et une indéfinissable odeur flotte à l’intérieur. Il est 16h. L'ambassade est fermée depuis 13h. Je ne peux donc pas récupérer notre courrier. Je rencontre un autre Français qui venait lui aussi chercher son courrier ; il part pour le Pakistan. Sur le chemin du retour, l'équipage d'une Dyane me ramène en centre-ville, puis un autre, Suisse, à l'université. Je retrouve les personnes organisant l'excursion à Bâmiyân. Rendez-vous est pris pour 20h pour récupérer les billets. Nos mécanos ont terminé. Nous partons tous les 5 avec la Dyane chercher la fraîcheur de l'hôtel Intercontinental situé légèrement à l'extérieur sur une colline qui domine la ville. J’en profite pour changer un traveller’s en dollars contre des afghanis. Nous buvons un whisky dans le salon bien frais et partageons les anecdotes du voyage avec d'autres équipages. Il est question des nombreux accidents, jusque-là, sans gravité, de l'épouvantable conduite des locaux. De notre observatoire, nous contemplons la capitale, en fait une ville pauvre en partie constituée d'échoppes en torchis dont certaines sont accrochées sur les flancs de l’HindouKouch, la chaîne de hautes montagnes qui traverse l'Afghanistan et le Pakistan. La ville de Kaboul est dans une cuvette que traverse la rivière Kaboul (affluent de l'Indus). Seul le quartier moderne de l'aéroport, où se trouve les ambassades et les banques possède de larges avenues, une grande place, son bassin et ses jets d'eau.
De retour à l’université vers 19h30, nous trainons dans le hall envahi par les marchands. Nous écoutons en souriant les longs marchandages qu'engagent des concurrents avec les commerçants. Les vendeurs se lamentent ; « je doisfaire un peu de bénéfice », ou encore,« je veux une femme et elle vaut 2000 dollars ». Les commerçants afghans n'aiment pas les Américains qui paient sans discuter les prix, marchander est un tel plaisir ! Je retrouve le groupe de personnes enregistrées pour le tour guidé de Bâmiyân. Un employé de la compagnie aérienne Afghan tourest là. Nous achetons nos billets d'avion :20 dollars. Le départ est fixé demain à 4h30, le retour à 8h. Après un diner médiocre, je monte dans la chambre, le temps de nettoyer les appareils photos et prendre une réserve de films. Première prise de contact pour moi avec la caméra de Roger. Je me couche à 23h15 et me lève à 4h. C’est court !
Bâmiyân
A 4h30, nous nous retrouvons dans le hall. Les commerçants dorment sur leurs tapis, ils passent 24h / 24 dans leur boutique. Plusieurs 2 cv emmènent les 14 personnes, je prends un gars avec moi dans ma 2cv, direction l’aéroport. À 5h10 l’avion décolle dans le jour naissant. Le fourre-tout que je porte est lourd : mes 3 appareils photos, la caméra de Roger et le 6x9 Rétinette de Jacques. Le bimoteur survole la chaîne de l'Hindou Kouch au lever du jour. Sous les ailes, rien d’autre que de la montagne. Certains sommets dépassent les 5000 mètres. De grandes plaques de neige et de glace renvoient des éclats éblouissants. On aperçoit par moment la piste Kaboul-Bamiyan qui serpente en fond de vallée quand elle ne franchit pas des cols à plus de 3000 m. Rares sont les voitures qui empruntent cet itinéraire. En jeep, il faut 7 à 9h pour faire le parcours. Il faudrait prévoir 12 à 13 heures en 2 cv ! Le soleil qui se lève, apparaît entre l'aile de l'avion et les cimes. Le spectacle est magnifique. Parfois une vallée un peu moins étroite est traversée par un torrent bordé d'arbres et de cultures. Une large vallée verdoyante s'ouvre devant l'avion, la vallée de Bamiyan. C’est là que nous allons. L'avion atterrit dans un nuage de poussière sur la piste de terre et s’arrête près d'un petit bâtiment en planches. C’est la tour de contrôle ! Un car nous attend. Nous traversons le paisible village de la vallée des dieux avec ses bazars et ses traditionnelles maisons de thé. La piste, très mauvaise, nous conduit au pied de la falaise des Bouddhas.
Nous sommes impressionnés par la taille de ces statues qui semblent veiller depuis leurs niches sur la vallée. Le premier, le plus grand, mesure 53 mètres. Le 2ème, 35 mètres, est en travaux, entouré d'échafaudages. Le haut des visages a été mutilé par une invasion musulmane au VIIème siècle. C'est sous le règne de Kanishka et ses successeurs, entre le Ier et le III ième siècle que furent sculptés les bouddhas. Les monastères rupestres ont continué à être embellis jusqu'au VIIème siècle. Bamiyan resta fidèle au Bouddhisme, longtemps après que l'Islam l'eut remplacé dans l'ensemble du pays. Ce n'est qu'au XIème siècle que les gigantesques statues vont être délaissées, se ternir, voir leurs tuniques se craqueler, leurs visages s’altérer. Le grand Bouddha (53 mètres) est le plus jeune, édifié au IIIème siècle et même, selon certains auteurs, au Vème siècle. Il est le plus abouti, le moins dégradé par le temps. Le drapé fut exécuté selon une méthode particulière. Au lieu de modeler les plis dans de la glaise, des cordes furent fixées à la statue par des chevilles en bois - les trous sont encore visibles aujourd'hui - puis furent recouvertes d'une épaisse couche de terre avant d’être revêtues d'un mortier de chaux et peintes en rouge. Le visage autrefois doré a été complètement mutilé. Les mains, elles, ont disparu. La niche était entièrement peinte. Il ne reste aujourd’hui que quelques fragments de couleurs. Dix grottes sont creusées au pied de la statue. Comme dans des milliers d’autres grottes ou plutôt, couvents troglodytes, les parois sont sculptées de motifs géométriques ou peintes. Souvent une épaisse couche de suie recouvre les motifs. Avant de devenir un site archéologique, de nombreux nomades ont habités les cavernes de Bamiyan, faisant de grands feux à l’intérieur. Les cavernes sont reliées entre elles par de longs couloirs et de nombreux escaliers. Des plateformes s'ouvrent à tous les niveaux dans la niche. Le Bouddha de 35 mètres en cours de rénovation est masqué par un immense échafaudage en tubes.
La visite éclair (une demi-heure) se termine déjà ! Nous ne visiterons pas les nombreuses autres salles. Le car est parti. C’est en 4x4 Toyota et en taxis que nous retournons à l’aéroport. Nous décollons à 7h30, survolons Bamiyan, la ville rouge. Le pilote décrit un cercle pour nous permettre d’apercevoir les ruines de la puissante forteresse qui protégeait l'entrée de la vallée. Construite par les Turcs au VIème siècle, elle prit son aspect définitif au XIIème siècle. Elle fut détruite par les assauts d'un jeune Mongol un jour maudit de l'an 1222. La ville de Bamiyan fut rasée et la population massacrée.
L’avion se pose à 8h20 à Kaboul. Je reprends la voiture, direction l'ambassade de France mais il n’y a pas de courrier pour nous. Je fais un saut à la banque, mais sans mon passeport, je ne peux pas changer mes traveller’s. Alors je me promène, je prends des photos. Voilà un beau bâtiment, c'est la caserne. Je me fais virer par la police, matraque à la main, un groupe de soldats sort, je viens de violer une zone militaire. Je rejoins les bords de la rivière Kaboul, la ville porte le même nom depuis ses origines. L'eau est très sale, les femmes lavent le linge, les enfants jouent dans la vase. À l’heure de la prière, hommes, femmes, enfants se trouvant sur les berges entrent dans la rivière pour s'y purifier. Les rues commerçantes sont assez animées, les bouchers suspendent la viande le long des arbres, les mouches abondent. Quelques femmes en tchadors se glissent entre les étalages. Tous les artisans sont installés à l’extérieur devant une petite baraque-atelier en planches. Les coiffeurs comme beaucoup d'autres artisans (photographes, tapissiers) abondent. 10h, j’arrive à l’université. Mes amis ne sont pas là ; la chambre est fermée. Je ne peux pas récupérer mon passeport. Nouveau petit tour en voiture pour faire quelques photos. Au retour, mes copains sont rentrés. Une dernière fois, nous faisons les boutiques. J'achète un bouclier et un sabre ancien à 5 $, mais dois négocier longtemps pour acquérir des chaussons pour 350 afghanis. J’achète aussi une poupée de collection. De son coté, Jacques fait l’acquisition d’un genre de cafetière en cuivre à 5 $ et de 4 petits flacons de parfum.
C’est de nouveau le rush du départ. Nous rangeons la chambre et chargeons les voitures. Nous prenons notre dernier repas sur place, qui pour une fois est plutôt bon. Nous récupérons nos carnets de route et passons voir le conservateur du musée de Kaboul pour obtenir le droit d’exporter les objets que nous achetés : 2 boucliers, 1 sabre, 2 poignards, 2 cafetières. Claude et Roger ont chacun un manteau, plus deux autre de petite taille pour enfants. Nous sommes en règle et autorisés à prendre la route. Nous nous arrêtons à une station-service pour faire le plein (0,42fr/litre), mais la pompe est à sec ! De nombreuses voitures sont passés avant nous. Heureusement j'ai fait le plein ce matin et Jacques en a encore un peu. Nous quittons Kaboul, il est 15h. Le compteur affiche 93940 km. Nous avons parcouru 8340 km depuis le départ. Autant à faire dans l’autre sens ! En quittant Kaboul, nous prenons conscience que ce voyage nous a fait remonter le temps. Ici, la modernité n’a pas prise. Les roues de chariots en disques de bois, les habitations en terre, l'hygiène inexistante, tout a plusieurs siècles de retard. Après 2h de conduite, nous bifurquons sur une piste menant à un village. Nous espérons y trouver de l’essence. La Dyane est à sec et nous n'avons pas de réserve. À l'entrée du village de Maidan, Jacques tombe en panne sèche. Un policier en vélo me guide avec la 2cv et les deux jerricans jusqu'à la station. L'essence est très sale mais nos braves 2cv avalent tout sans caprice. Le village prépare la fête de la célébration de l'indépendance qui a lieu la dernière semaine d'août. Des mâts, des fanions, des banderoles sont installés. Plusieurs 2cv sont stationnées près des boutiques, les prix ici sont très nettement inférieurs à ceux de la capitale. J'aurais aimé m'attarder dans un village comme celui-là mais nous avons décidé de traverser le désert cette nuit pour éviter les fortes chaleurs et prendre un peu d'avance. Nous reprenons la route. Il fait toujours très chaud. Devant nous, un long ruban de ciment ; de chaque côté, le sable à perte de vue. Je suis couché à l'arrière, en maillot de bain. À 7h du soir, il fait encore plus de 30 degrés. Roger conduit depuis Kaboul. Arrêt pipi. Tarzan prend le volant de la Dyane et Claude celui de la 2cv. Nous avons décidé de tourner à cinq sur les 2 voitures pour limiter la fatigue.
Vers 22h, alors que je somnole, un coup de frein me sort de ma torpeur. J'entends : « c'est eux, ils ont morflé ». Nous descendons de voiture. La Dyane est en travers, couchée sur le côté. Jacques dormait à l'arrière, nous ouvrons le coffre et l'aidons à sortir, puis Tarzan est extrait par la capote. La cause de l’accident, une Jeep sans éclairage stationnée sur la route. Alors qu’un camion arrivait en face, Tarzan est passé en feux de position pour le croiser. Les véhicules afghans n'ont pas de feux de croisement et passent directement de phares à feux de position. Nous sommes obligés de faire de même sinon les camions restent en phares. Au moment de rallumer ses phares sitôt le camion passé, il a vu l'obstacle à quelques mètres seulement devant lui. À 85 km/h, malgré le violent freinage et un coup de volant, il n'a pu éviter la Jeep qui a été projetée plusieurs mètres en contrebas de la route. La voiture a le moteur cassé en deux, l'avant droit écrasé. Le siège avant passager est plié par le tableau de bord. Nous sécurisons la zone avec des feux clignotants. D’autres 2cv s'arrêtent. Nous remettons la Dyane sur ses roues et la rangeons sur le bas-côté. Nous ramassons les affaires éparpillées sur la route. Quand Jacques voit l'état de sa voiture, il pleure. Tarzan aussi. Il murmure « c'est à moi que ça arrive, Jacques m'en voudra toute sa vie, j'ai perdu mon meilleur ami ». Les coupures saignent abondamment. Un équipage nettoie leurs plaies. Avec la 2cv, Roger et Claude les conduisent à l'hôpital de Kandahar qui n’est plus très loin. Plusieurs voitures se répartissent le matériel. Je pars à l'aéroport avec l’une d’elles. Toutes leurs affaires sont déposées dans un bureau fermé à clef. Seul et désœuvré, je gonfle les matelas et fais cuire des pâtes.
mardi 18 août 1970
À 2h30, Claude et Roger ne sont toujours pas revenus. Je dîne et me couche. À 3h, enfin ils arrivent et dînent, avant de se coucher sur la pelouse comme une quinzaine d'autres équipages. 7h du matin, je me lève, et entame le nettoyage du matériel récupéré. De l'acide de la batterie éclatée a coulé, plusieurs objets sont touchés. Mon duvet et un jean sont légèrement brulés... Nous échangeons une roue pour remplacer une des nôtres qui est abîmée. Tout de suite après le petit déjeuner, nous partons à l'hôpital. Ils ont le moral au plus bas. L'hôpital est un bâtiment des plus minables, crasseux, sans carreaux aux fenêtres, les moustiquaires sont percées. La chambre est envahie de mouches. Le sol en vieilles dalles mal jointes est vite lavé, un seau d'eau jeté dans la pièce, l'eau s'écoule par un trou central. Les murs ne sont pas mieux que le sol. Les vieux lits cages grinçants sont rouillés ; sur la table de nuit, chacun a une timbale cabossée contenant une eau douteuse. Un peu plus loin, 2 corps inertes.: un équipage du raid. Leur 2cv a pris un camion de face, l’un a été tué sur le coup. l'autre a gémi plusieurs heures à l'hôpital avant de mourir. Mes copains ont vu l'un des corps de ses pauvres gars posé à même le sol du couloir, couvert de sang et de mouches. La nouvelle de ces accidents fait réfléchir les concurrents. Beaucoup décident de ne plus rouler la nuit, nous prenons la même décision. Nos copains n'ont pas vu de docteur ni reçu de soins. Jacques a seulement été recousu à vif pour la plaie au cou. Nous apportons leur pharmacie, nettoyons les coupures, les plaies, et refaisons les pansements. Nous leur apportons de l'eau fraîche et potable. Je donne à Jacques 2 photos de sa voiture faites avec le polaroïd.
Ils veulent quitter l'hôpital au plus vite. Claude téléphone à l'hôtel Intercontinental de Kaboul. L'équipage d'une DS répond, toutes les autres voitures d’assistance sont parties à 5h du matin. Ils vont essayer de les contacter. Ils se chargent d’aller à l'ambassade prévenir pour les 2 morts et l'accident de nos camarades. On contacte l’assurance. Catastrophe, la voiture n'est ni remboursée ni rapatriée en Iran et Afghanistan. Jacques est effondré, il perd tout. Tarzan aussi : « Ce n'est même pas ma voiture mais celle de Jacques, je n'ai pas dormi ». 9h30 Roger et Claude vont faire le plein d'essence et je leur achète du raisin. On passe la consigne à tous les équipages que s'ils voient une DS de l'assistance, il faut leur dire de venir à l'hôpital. 11h Roger et Claude sont avec les blessés, j’ai terminé de rédiger le carnet de bord, j’attends. 11h30, la DS TOTAL arrive avec le docteur. Le diagnostic est bon, contusions multiples mais rien de grave. Ils sont transportables. A midi, la DS de Nadine Karmazin arrive à son tour. Nadine décide de ne pas les laisser dans cet endroit minable mais de les emmener à Hératoù ils passeront la nuit. 12h30 Jacques prend place dans le break TOTAL et Tarzan dans la DS de Nadine. On attend encore l’arrivée d’autres DS d’assistance qui pourront récupérer les affaires de Jacques et Tarzan stockées à m’aéroport.
Nous reprenons la direction de Herat. Je suis au volant. Après Kandahar, nous attaquons la 2ème partie du désert. Le thermomètre monte à 47° dans la voiture entièrement ouverte. Depuis cet événement, je ne suis plus le même. Je me sens mal. Je suis angoissé. J’ai peur de l’accident, J’ai hâte de quitter les routes et les pistes dangereuses d'Afghanistan, d’Iran, et de Turquie, Je suis impatient de repasser le Bosphore, de retrouver notre bonne vieille Europe. Ce matin, avant de démarrer, j'embrasse la photo de Joëlle mon amie, par superstition et pour me porter bonheur. Désormais, nous ne roulerons que de jour. Vers 15h, nous nous arrêtons au bord de l'eau pour nous rafraîchir et nous désaltérer. Nous repartons une demi-heure plus tard. Roger prend le volant. Nous quittons un moment la route, bifurquons dans le désert pour prendre des photos de l'immensité de sable qui nous entoure. On s’arrête de nouveau dans une des très rares tchaïkhana (maison de thé, restaurant) sur le chemin. Je paie très cher, un mauvais Coca de fabrication afghane. Roger et Claude boivent du thé. Je m'arrose un peu et nous repartons. Peu avant Hérat, on passe à côté de deux cars qui se sont télescopés de face. À 18h15, nous arrivons enfin à l’hôtel Fara à Hérat. De nombreux équipages sont déjà là. Nous profitons de la piscine pour nous rafraichir puis je pars faire de l'essence. Les derniers arrivés risquent de ne plus en avoir. Le pompiste essaie de me voler mais j'ai appris à connaître les chiffres. Je paierai le juste prix. Le soleil commence à disparaître.
Les DS sont arrivées elles aussi. Jacques et Tarzan vont mieux. Ils iront jusqu'à Téhéran en DS. De là, ils seront rapatriés par avion jusqu’à Paris. La voiture accidentée est abandonnée sur place. Jacques nous donne un pneu neuf et tout leur ravitaillement. Nous retournons nous baigner dans la piscine. Comme je n'aime pas le thé je bois de l'eau. en y ajoutant du lait en poudre et du Tonimalt, c’est moins fade et même très bon frais. Tarzan me donne le n° de sa chambre pour me permettre de prendre une douche (luxe suprême !). La chambre est bien mais il y fait très chaud. Nous descendons dîner. Plus de soupe, seulement du riz et une espèce de viande ? Jacques nous donne encore du matériel : un phare longue portée, un feu arrière, 1 pneu, 1 jerrican, le 2ème est vendu à des baroudeurs parisiens qui roulent en VW. Je range la voiture. Pour ramener Jacques et Tarzan, il faut faire de la place dans la DS. L'équipe d'assistance vend des jerricans aux équipages du raid pour gagner un peu d’espace. 23h10 je gonfle mon matelas et me couche sur un banc à côté de l'hôtel.
mercredi 19 août 1970
4h30 je me lève. Je ne sais pas où sont Claude et Roger. Il fait 29°. Je me fais un chocolat froid. Je trouve mes équipiers un peu plus loin au bord de la piste. À 5h10, je réveille Claude mais il ne veut pas se lever, il ne fait pas encore jour. À 5h30 il fait jour, je les réveille. Les DS et de nombreux équipages partent. Roger et Claude se lèvent à leur tour, leur chocolat les attend. Je vérifie l'huile, range les matelas ; nous prenons le jerrican en plastique de Jacques et partons. Claude conduit. Premier arrêt à une barrière de péage. Pour le raid c'est gratuit mais le militaire ne veut pas nous laisser passer. Il veut une photo. Je le prends devant la voiture avec le polaroïd et lui donne la photo. Il est content. Nous passons. Plus loin, nouvel arrêt dans un petit village. Roger fait le plein avec le jerrican et filme. Une DS s'arrête et filme aussi. Le long de la route, une 2cv est en panne, bougie arrachée. L’équipage nous demande de prévenir l’assistance à la frontière proche de 22 km. 11h, nous sommes à la frontière afghane.
Drôle de pays que l'Afghanistan. Le pays n’a de moderne que la route du sud et ses deux aérodromes. Partout, les femmes en tchadri sont entièrement voilées. Les jeux ici sont cruels : combats de dromadaires, de cailles, de coqs, de béliers, de chiens. Le plus populaire est le bouzkachi. Les tchopendoz, rudes cavaliers des steppes s’arrachent la dépouille sanglante d’un bélier. Le vainqueur doit la déposer dans un cercle au milieu du terrain. Tous les coups sont permis, les fractures très nombreuses. L’Afghan est fier bien que le plus souvent miséreux. La mendicité n’existe pratiquement pas. À 11h30 nous repartons, stoppons à la douane iranienne où il nous faut trente minutes pour accomplir les formalités. On raconte qu’une voiture du raid s’est fait prendre avec 50 kg de haschich à la frontière il y a 3 jours et qu’un gars est bloqué car il a perdu son passeport.
Nous retrouvons la piste avec des tronçons de route non ouverts à la circulation. Nous nous faufilons entre les pierres. Quand nous arrivons à Mashhad, la ville en fête, il y a beaucoup de monde. On attend le défilé militaire. Comme plusieurs autres équipages, nous nous arrêtons dans un café et buvons du Coca. Nous roulons jusqu’à Quochant également en fête. Nous n'avons plus d'argent local. Nous rencontrons le break Total ; ils nous changent 20$. Nous sortons de la ville et attaquons la piste que nous quittons presque tout de suite pour nous dîner. En reculant, une fumée sort au tableau de bord, le voyant du phare de recul crame. Je débranche le phare de recul. Nous sortons le réchaud et préparons du riz à la sauce tomate puis sortons matelas et duvets. Deux troufions arrivent, ils discutent, on ne comprend rien. Ils nous donnent de l'eau fraîche et repartent. Peu après 2 autres viennent dont un parle Anglais, Claude, qui comprend l’anglais, nous explique que nous devons plier bagages. Nous dinons et partons. De toute façon, rien de bien de ce côté pour dormir. Nous retraversons la ville et nous arrêtons à une tchaïkhana pour boire un coca, 3 gars en 2cv sont déjà en train de diner. Nous nous installons tous les six entre les deux voitures pour dormir en face de l’établissement.
jeudi 20 août 1970
4h30, il ne fait pas encore jour, mais froid : 6° ! Plusieurs chiens nous rodent autour du campement. Nous plions les matelas, préparons du chocolat chaud, regonflons les pneus et partons ensemble à 5h. Il fait jour. Sur la piste le break TOTAL nous double et l'autre 2cv nous distance un peu. 6h30, il fait déjà 20°, le soleil se lève. Roger conduit. Claude dort. Nous retrouvons nos amis à une pompe à essence. Un peu plus loin, leur 2cv est immobilisée sur le côté de la route. Dans la traversée de Shivan, ils ont tordu deux jantes dans de gros trous. À peine commençons nous à nous habituer à l’asphalte que le tronçon s’arrête pour faire place à la piste. Une DS nous double et reste quelques instants à nos côtés. Tarzan est dedans et nous fait signe. C’est bon de le savoir installé confortablement dans la voiture d’assistance. 36°, beaucoup de poussière. Nous progressons lentement. A midi, on s’abrite sous des arbres près d'un ruisseau. Nous reconnaissons l’endroit où nous nous sommes arrêtés à l'aller. Nous prenons le temps de nous laver et nous raser. Pour le déjeuner nous ouvrons une boite de choux infame. Nous n’avons presque plus d'eau fraiche dans la vache à eau couverte de poussière. Il reste encore75 km de piste, nous repartons,. Après quelques km, on crève. Le pneu est mort, coupé à deux endroits par des pierres. Une demi-heure plus tard, nous nous arrêtons encore pour boire un Coca, puis un deuxième dans un tchaïkhana.
Nous croyions la piste terminée mais dès la sortie du village, on retrouve la piste ! Intrigués, nous nous renseignons et comprenons que nous nous sommes trompés de route dans le village précédent. 7 km de piste en plus, nous n’avions pas besoin de ça ! 16h : nous entendons un gros «plof» suivi d’un « méchant » bruit. Nous pensons l’échappement crevé. En fait, c'est une bougie dévissée qui a été éjectée de la culasse. Nous laissons refroidir le moteur et la revissons. Par chance, le filetage n'est pas endommagé. Claude profite de l'arrêt pour déposer un peu d'engrais dans le champ voisin… La piste s’arrête enfin, place à une route asphaltée jusqu'à Téhéran, mais à 18h30, nouvelle crevaison, toujours la roue arrière droite. Nous montons notre dernière roue, celle avec un accroc, celle qui avait été refusée au départ de Rungis. En repartant la voiture ne tire plus ? Rien de grave, juste un fil de bougie débranché. 19h. On s’arrête au restaurant, les équipages des deux 2cv orange (les radio téléphones), finissent de dîner (le diner est bon). Eux aussi ont crevé deux fois. Nous alignons les 4 roues. On nous aide à les démonter. Nous changeons les chambres à air et les remontons sur le pneu neuf de Jacques et celui de la dernière crevaison. Roger les regonfle. Nous gardons le pneu coupé pour faire mettre un emplâtre si nécessaire. Je réussis avec difficulté à recapoter ; la capote s’est rétractée. Elle est super tendue. La nuit tombe, les moustiques attaquent. Je me lave à une pompe et m’enduis de crème. C’est très efficace ! Deux autres 2cv se sont arrêtées. Nous dînons : mouton et tomates grillés, fromage blanc, Coca. Claude et Roger finissent par du thé (Cout du repas 285 rials). Nous garons les 2cv dans un champ à côté du restaurant où nous sommes autorisés à dormir. Les autres montent la tente. 20h30, le thermomètre affiche 28°. Il fait bon mais les moustiques sont bien présents. Nous dormons à la belle étoile.
vendredi 21 août 1970
Lever 6h15. Nous avons passé une très mauvaise nuit à cause des moustiques et de la chaleur. Nous changeons l'eau de la vache, fixons roue et pneu sur le toit et petit déjeunons. 7h, on range la voiture et on repart. Je prends le volant. Le temps est couvert et la température supportable :30°. Nous hésitons un moment à faire un détour par la mer Caspienne, mais décidons, par sécurité, de continuer directement vers Téhéran. En fin de matinée nous quittons la zone verdoyante et attaquons la piste de montagne, avec ses forts dénivelés, ses très nombreux virages et ses tunnels sans éclairage. Nos faibles phares en 6volts ont du mal à percer l’obscurité. Quand les yeux ont fini par s'habituer à la pénombre, c’est l'éblouissement total garanti à la sortie car la lumière est- très vive à l'extérieur. C’est ce qui est arrivé à un couple allemand peu de temps avant notre passage. Totalement ébloui, le conducteur de la Ford Capria percuté un buffle. La tête de l'animal a brisé le pare-brise de la voiture. Le buffle s’est tranché la gorge dans le choc. L'animal gît sur le flanc, la voiture et ses occupants sont aspergés de sang. Nous reprenons la route. D’abord dans les virages puis en permanence je sens de fortes vibrations dans le volant et des à-coups au freinage comme à l'accélération. Je pense aux transmissions pourtant refaites à neuf avant le départ. Il fait chaud maintenant 40°. Je profite d’un arrêt Coca dans une échoppe de montagne, pour chercher la cause des vibrations. Je ne trouve rien. Une 2cv immatriculée en Suisse est arrêtée sur le bord de la route, l'arrière très bas. Sur cette piste impitoyable, le châssis a fini par plier. Ils essaient de regagner au pas Téhéranoù ils espèrent pouvoir faire réparer. Nous arrivons à Téhéran en début d’après-midi. Nous nous garons à l'université derrière les bâtiments en attendant l'ouverture du contrôle à 15h. Je regarde de plus près les transmissions, elles m'inquiètent. Ce sont les croisillons de cardans côté roue. Ils sont morts des deux côtés, tous les galets sont sortis des coupelles ! Nous nous lavons, puis filons à la piscine ; ça fait vraiment beaucoup de bien. Je suis l’un des premiers à passer au contrôle. Le temps de boire un Coca et nous partons à la concession Citroën. De nombreuses voitures sont déjà là dont plusieurs DS. Une méharie a ses bielles coulées, plusieurs moteurs sont sortis des voitures, des châssis sont pliés ou dessoudés, de nombreuses suspensions sont cassées et des transmissions mortes. Ils nous prennent la voiture rapidement. Sur la portière gauche, je griffonne Turquie, Iran, Afghanistan. Un ouvrier passe, prend le pinceau et inscrit IRAN en alphabet arabe à la peinture rouge. Côté droit, j'inscris tous les points de contrôles franchis depuis Paris. Nous attendons la fin de la réparation. Ils ont du mal à remonter les croisillons neufs, les têtes de cardan ont pris des chocs et de grosses bavures se sont formées dans l'alésage des logements de coupelles. J’en profite pour nettoyer le carburateur, la cuve et la crépine, pleine de saletés. Il est 8h du soir, les mécanos dînent sur place. Ils sont d’astreinte non-stop pendant plus de 48h pour le passage du raid. Aujourd'hui et les jours suivants devaient être chômés pour la fête nationale ! Il y a des drapeaux partout en ville. À 21h, la réparation est enfin terminée. Je fais poser un graisseur sur le cardan sortie de boite et remonter l'aile avant. J'ai payé en traveller’s, on m'a rendu 1946 rials soit 13622 Fr. Ça fait beaucoup d’argent en monnaie locale ! Nous revenons à l'université et partons à pied à la recherche d'un restaurant. Nous trouvons un hôtel - restaurant dans un parc arboré où joue un orchestre. Nous prenons trois salades tomates concombres (un petit saladier par personne), du poulet rôti (16 morceaux pour nous 3 dans le plat) avec haricots verts, pommes de terre, tomates, etc, pain grillé, eau fraîche et Coca. Nous devions avoir très faim, nous ne laissons qu'un seul morceau de poulet. Il faut dire que nous n'avions pas déjeuné et que le menu nous change des brochettes de mouton accompagnées de riz. Le tout nous coute 850 rials. Nous ne retrouvons pas Jacques et Tarzan, ils sont à l'hôtel où descend l'équipe Citroën. Comme à l'aller, nous nous couchons sur la pelouse de l'université. Je finis de rédiger les notes de la journée et me couche à 1h15 du matin. Il fait, 26°.
Lever 6h, départ à 6h30, Claude prend le volant, je me couche. 11h15 arrêt, petit déjeuner. Pendant que le chocolat chauffe, je fais une dernière fois, la vidange : 3040 km parcourus depuis Kaboul. Toujours du soleil, 38°, un peu de vent. Le ventre plein, je reprends le volant. Une heure plus tard, nouvel arrêt pour se désaltérer. On boit 2 Cocas chacun. En Iran le Coca est partout. Tous les petits bars, même en campagne arborent la publicité Coca. Il n'est pas cher, moins de 50 centimes. Roger s’installe à l’arrière pour dormir. La route est bonne, ça roule très bien. Plusieurs DS nous doublent. Ici et là, des 2cv sont arrêtées à l'ombre des quelques arbres qui bordent la route. 40° au thermomètre. Décapoté, glaces ouvertes, en maillot de bain, avec la vitesse, on est bien. Nous franchissons des tunnels dont certains en très mauvais état. Encore beaucoup de bêtes écrasées sur la chaussée, notamment des moutons. Beaucoup de chantiers aussi, principalement pour stabiliser les bas-côtés. Comme à l’aller, nous retrouvons les villages typiques et leurs maisons de terre. Le foin sèche sur les toits terrasse. Des pyramides de bouses sèchent au soleil en vue du prochain hiver. Tabriz est une assez grande agglomération, la traversée est difficile. Roger prend le relais à la sortie de la ville. Nous poursuivons notre route vers Marand. Comme à l’aller, nous constatons que les camions sont mal chargés et penchent souvent d'un côté et que les cars roulent toujours très vite, se déportant dans les virages. Nous repartons de nuit pour atteindre Maku où nous arrivons à 21h30. Au resto routier, plusieurs 2cv nous ont devancés. Nous dinons, riz, tomates, brochettes de viande hachée, et bouteille d’eau : 150 rials, Nous n'avons pas assez de monnaie pour payer. Un équipage nous échange 50 rials contre un restant de monnaie turque. De nouveau riche, nous nous offrons un Coca chacun avant de partir. Plus que 22 km jusqu’à la frontière. Les formalités de sortie sont expédiées, il y a peu de monde. À la frontière turque. Un docteur vérifie les carnets de vaccination et la police contrôle la voiture avant de nous laisser passer. Nous nous garons sur un parking à proximité, à côté d'une dizaine d’autres 2cv. Claude et Roger gonflent leurs matelas et s’endorment aussitôt. Je me prépare un chocolat froid, je gonfle mon matelas, je raccorde un fil de plafonnier dans la voiture et finis de rédiger le compte rendu de la journée. Je regarde la route qui nous reste à faire jusqu’à Istanbul : il nous reste 3 jours dont le dernier écourté par le pointage à 16h pour parcourir 1771 km qui nous sépare de la capitale turque. 23h je me couche.
dimanche 23 août 1970
4h30 il commence à faire jour. Nous sommes réveillés par le départ de plusieurs 2cv. Les cartes d'Iran sont rangées, nous sortons celles de Turquie. Nous sommes de nouveau en route. Le soleil se lève mais il fait froid. Plusieurs sommets sont enneigés. La route est goudronnée mais mauvaise et puis vient la piste. Nous nous arrêtons au premier village mais le bureau de change est fermé. Nous n'avons pas d'argent turc. Nous reprenons la piste. Claude conduit, je suis à l'arrière. Nous doublons une 2cv remorquée par un camion. Les enfants font de grands signes le long de la route pour obtenir des cigarettes. Un peu plus loin, on croise un convoi militaire. Nouvel arrêt, il paraît que les vitesses sont dures ? je regarde mais ne trouve rien. Roger en profite pour finir son film et ranger films et pellicules au frais au fond de la glacière. Quand on atteint Erzurum en fin de matinée, les vitesses passent vraiment très mal. On décide en priorité de changer des traveller’s et de trouver un restaurant pour manger. La mécanique attendra. Au restaurant nous retrouvons l'équipage de Levallois, qui nous informe que c'est bon et pas cher. Petits morceaux de mouton rôtis en brochette, tomate, riz, pain en forme de crêpe, 4 Cocas, 1 bière, le tout pour 32,5 livres, soit environ 9,5 frs. Avant de partir, je retends un peu l'embrayage, j’espère que ça suffira. À mon tour de prendre le volant, direction Erzincan. Un peu de route asphaltée puis à nouveau la piste, bonne, je roule entre 60 et 80 km/h. Nous nous arrêtons pour prendre quelques photos sur la terre craquelée par la sècheresse. Beaucoup de camions et beaucoup de cars sur la piste. Les cailloux rendent la piste dangereuse et glissante, surtout sur les bords et dans les virages. En milieu d’après-midi, nous nous arrêtons à Erzincan , dans un relais routier, nos amis en 2cv6 sont là. Morts de soif, nous buvons 2 Cocas chacun. Pour le moment la route est asphaltée, Roger conduit. Mais bonne route et piste en pierraille alternent souvent. En prévision de ce qui nous attend, nous décidons de remplacer notre bon pneu par une roue qui a déjà eu une crevaison. On jette le pneu coupé. Nous repartons. Peu d'eau dans le 1er oued, la voiture passe très bien. Le passage à été un peu déplacé. Il y a un peu plus d’eau dans le 2ème, mais on passe sans encombre. Nous nous arrêtons une fois le gué passé pour dépanner une 2cv qui n'a plus d'aiguilles aux croisillons de sortie de boite. Nous bourrons de graisse et lui permettons de reprendre la route. La nuit commence à tomber, la piste est assez dure, les rampes très raides à gravir. Nous doublons une Dyane dont une coéquipière pousse la voiture pour l’aider à grimper la côte. Un peu plus loin, la 1ère ne suffit plus, nous nous arrêtons. L'essence arrive normalement. Alors, nous attendons quelques minutes et remettons en route. Claude et moi poussons la voiture pour aider. C'est reparti. Nous courons derrière et montons en marche. Quelques km plus loin, nous nous arrêtons en contrebas de la piste près d'un ruisseau. Il fait nuit, la piste est difficile et dangereuse, il est 20h. Une 2cv s'arrête près de nous, Claude et Roger préparent le dîner : du riz. Il fait froid, 17° seulement. Je suis un peu barbouillé, je vais me préparer un chocolat. A 21h mes copains sont couchés. Je mange un peu de riz à la sauce tomate, bois mon chocolat et m’endors. 2h30, je me réveille gelé. J'enfile pull et pantalon et essaie de dormir encore un peu. 4h30, on se lève, il fait froid : 3°, Nous devons être à une altitude élevée.
lundi 24 août 1970
Je fais chauffer l'eau, lave les bols, les cuillères et sers un bon chocolat pour nous réchauffer. 5h20, nous partons sans avoir réussi à recapoter. Le soleil commence à se lever. Encore quelques kilomètres de piste puis nous retrouvons la bonne route. Deux heures plus tard, arrêt pipi et remise à niveau de l’huile moteur. On arrive à Sivas, où nous comptons faire des courses, mais il faut commencer par changer de l’argent. Nous achetons des boîtes de thon et du pain, que nous mangeons en casse-croûte à la sortie de la ville. Nous roulons maintenant en direction d’Ankara, Pose essence et Coca à 11h. Nouvel arrêt à midi pour déjeuner au restaurant. Au menu : salade de tomates, concombres et poivrons en entrée, Roger prend une bière, mais il est mal foutu et va se coucher dans la voiture. Avec Claude nous continuons le repas : morceaux de viande avec haricots verts et le sempiternel Coca. Le disque d'embrayage fait du bruit au ralenti, avant de partir je retends une nouvelle fois légèrement l'embrayage et prends le volant. Roger dort, Claude à mes côtés somnole. Il fait chaud maintenant 40°. la route est belle mais beaucoup de camions et de cars circulent, il faut rester très vigilant. Vers 3h de l’après-midi, nous traversons le village où nous avions été bombardés de pierres à l'aller par les gamins. Ça a l’air calme en entrant dans le village, mais ensuite quelques pierres volent. L'une d'elle tape sur le haut de la portière, rentre par la glace ouverte et me coupe au menton. Je m'arrête, ça saigne pas mal, j'ai du sang plein la main. Roger me donne un bout de coton, Claude prend le volant et sort du village. On s’arrête un peu plus loin. Claude nettoie la coupure à l'alcool à 90° et me mets un pensement. Je repars. Nous arrivons à Ankara mais ne nous arrêtons pas. 2 DS nous doublent. On s’arrête quelques kilomètres plus loin dans un relais. J’en profite pour me laver les mains et le menton, encore pas mal de sang. Le temps d’un Coca et Roger prend le relais. Nous avons parcouru plus de 5000km depuis Kaboul, plus que 3000 km pour Paris ! Je suis à l'arrière et lis un livre. À 7 heure du soir, nous nous arrêtons dans un restaurant. Il nous reste encore 300 km pour le passage du Bosphore. Nous n’irons pas plus loin ce soir. Pour changer, viande et riz au menu ! pas très varié depuis le début du voyage. Nous prenons 2 plats chacun et 2 Cocas, pêches abricot, Roger 2 thés. Deux 2cv arrivent, Ils sont 5 avec deux 2cv. Un des équipiers est bon mécanicien, il constate que le centrifuge est mort, plus de garnitures. Notre embiellage cogne. À 21h nous nous couchons tous dans un pré à la belle étoile à côté du restaurant. Il fait 18°. À midi j'ai perdu un petit morceau de dent, ce soir je perd un plombage. J'écoute à la radio un programme en Français. Nous avons couvert aujourd'hui 736 km, pas mal ! D’autres sont passés par la côte : très bien paraît-il.
mardi 25 août 1970
Lever 5h, il fait 8°. Les voisins me donnent un coup de main pour recapoter, la toile est déchirée sur plus de 10 cm, je mets 2 rustines et de la colle. La capote est à peu près réparée mais il ne faut plus décapoter. Claude et Roger se lèvent et plient matelas et duvets. Nos voisins nous donnent du chocolat bien chaud. 6h15 nous partons. Les 2 autres équipages s’attardent pour réparer un pneu et sa chambre. Nous sommes à 300 km d’Istanbul. Le soleil se lève, la route est belle. Claude conduit : installé à l’arrière, je lis. 8h arrêt pipi. Roger achète une pastèque. 8h30 nous sommes arrêtés : 3 camions se sont encastrés dans une section de travaux ! Il est 10h30 quand nous arrivons à Istanbul. De nombreuses 2 CV font déjà la queue en attente du prochain bateau pour traverser le Bosphore. Nous passons rapidement sur le 2ème bac. À 11h30 nous sommes à l'université où le contrôle n’ouvre qu’à 15h. Nous prenons une chambre et montons quelques affaires. Douche et rasage pour tous. Pas mal de voitures sont là. Des équipages passent des annonces pour avoir des pièces détachées. Un concurrent vend son moteur. Mes équipiers se couchent et dorment un peu. Je pars en ville à la recherche de cartes postales. 15h, le Contrôle est ouvert. Je descends faire pointer le carnet de route, et rapporte des Cocas. Au contrôle, la liste des noms des personnes ayant du courrier est affichée. J'ai deux lettres dont une de Jacques qui me demande de prendre contact avec la personne qui a pris le carburateur sur la Dyane. La 2ème est de ma mère, postée le 12/08 et adressée à l'ambassade de France à Kaboul. Nous finissons le courrier et allons le poster. Nous apprenons que 2 autre DS ont été accidentées sur la piste : l'une est inutilisable, l'autre n'a plus ni vitres ni toit ! En milieu d’après-midi, nous prenons un taxi et partons pour l'ambassade déclarer le vol du portefeuille de Roger, mais nous trouvons porte close, l’ambassade ferme à 13h ! Nous changeons 8 dollars, reprenons un taxi et nous faisons conduire au Grand Bazar. Il est immense, plein de bijoux, mais l'or est pauvre, 8 à 10 carats. On trouve aussi des manteaux, des armes, des tissus en quantité. Nous faisons facilement baisser les prix par trois. Après le shopping, le restaurant : chacun prend une soupe et une omelette à la tomate et aux poivrons. Claude et Roger en prennent une 2ème, moi je choisi du poulet et du riz. Ajoutez 6 cocas et on arrive à 25,55 livres. Nous allons à pied à la basilique Sainte Sophie, monument le plus connu d'Istanbul. L’ancienne basilique de Constantinople a été construite entre 532 et 548, puis transformée en mosquée après la prise de la ville par les Ottomans en 1453. Après nous être déchaussés, nous sommes autorisés à visiter l'intérieur magnifique. Le sol est entièrement recouvert de tapis. On essaiera de revenir demain matin la voir de jour. De retour à 21h30 à l’université, nous récupérons des draps et mes équipiers se couchent. À 22.15h ils dorment la fenêtre ouverte en maillot de bain sur les lits. Il fait très doux entre 25 et 30°. J’écris aux parents en réponse à leur lettre et termine le carnet de route, je me coucherai plus tard.
6h, on s'habille, on range. On charge la voiture, Un jerrican est installé à l’arrière. Nous enlevons le grillage de protection du pare-brise, il a déchiré la capote. Le niveau d’huile est vérifié, on part. Nous prenons directement la route, sans malheureusement repasser par Sainte Sophie. Je suis au volant, Roger dort. La route est bonne. 11h, premier arrêt essence, nous liquidons tout l'argent turc que nous avons. À la frontière, gros embouteillage, beaucoup de monde, surtout des Allemands. Je gagne quelques places en roulant sur le bas-côté, nous nous faisons engueuler, tant pis. D'autres voitures du raid nous suivent. On sort de Turquie à 11h45. Une fois les formalités douanières remplies en Bulgarie, nous repartons. Nous nous arrêtons 1h plus tard au restaurant. Quatre autres 2cv y sont déjà. Nous attendons longtemps pour être servis. Trois petits steaks de rien du tout avec tomates, piments, poivrons. Nous avons encore faim et reprenons 2 plats, ce sont les derniers qui restent ! Claude et Roger boivent de la bière, moi un soda. Les cafés sont épouvantables. Après avoir discuté le prix, on paie 4 dollars et repartons en direction de Sofia. 2 DS s'arrêtent à leur tour au restaurant, Le temps est couvert, il fait 25°. Ce matin nous avons eu froid, on a refermé la capote avant le déjeuner. Roger est au volant, Claude dort. 18h30, nous arrivons à Sophia, ville d'une grande propreté. La police dirige la circulation par petits gestes nerveux très comiques. Nous prenons la direction de Belgrade mais nous sommes ralentis par un embouteillage sur la route à cause d’un accident de moto. À 8h du soir, noua arrivons au poste frontière. Il y a beaucoup de monde mais tout se passe bien. Nous nous arrêtons juste après la douane dans un bureau de change puis allons au restaurant. Au menu: pain, tomates, saucisson, coca. Nous apprenons que ce matin, une autre DS s'est encastrée sous un camion, les deux journalistes à bord sont morts. Le break bleu du service compétition est lui, tombé dans un ravin de 40 m. Nous décidons de dormir sur le parking en face. On nous réclame 5 $ pour le parking. La nuit va sûrement être froide, ce soir il fait16°. Pendant que nous gonflons les matelas, un gars vient nous voir pour nous acheter une chambre à air, que nous lui vendons 1$. Nous avons parcouru 646 km aujourd’hui, ce n’est pas assez ! La moyenne doit être supérieure à 700 km si on veut arriver dans les temps à Paris.
jeudi 27 août 1970
5h15 je me lève. Il fait froid. Je vérifie le niveau d'huile. Claude et Roger se réveillent à leur tour. Je règle le ralenti trop élevé, la 1ére craque, nous verrons si ça va mieux plus tard. 5h30, on fait le plein d'essence et on part. Il fait 12° dehors. Surprise ce matin, le kilométrage de la voiture indique 0 km au compteur, il a fait le tour complet. On pourrait presque croire que nous avons une voiture toute neuve ! La route est mauvaise sur 40 km, mais bonne après Nys que nous traversons en convoi de 5 voitures. Nous arrivons à Belgrade en milieu de matinée. Nous allons au marché et achetons saucisson, pain, œufs, du fromage « vache qui rit », des tomates, des poires, des bières, des sodas et du sirop. C’est ce qui s’appelle faire un vrai ravitaillement. Une heure plus tard, on s’arrête à l’ombre sur la route de Zagreb, le temps d’une vidange et d’un casse-croûte. À 12h30, on se remet en route. L'asphalte est assez mauvais mais ça ne me gêne pas, je roule à fond. Beaucoup de camions sur les deux voies, je double très souvent. Deux DS nous dépassent dans l'après-midi. A une station, nous n’avons presque plus d'argent local, nous ajoutons 1$. Claude actionne la pompe, nous obtenons 10 litres. À Zagreb, nous allons directement à la gare routière où se trouve le bureau d'information. Je change un traveller’s, histoire de récupérer un peu de liquide. Nous mangeons un sandwich au jambon, le 1er depuis notre départ et buvons un petit verre de vin blanc. Quel luxe ! Il est 18h30, Roger prend le volant. Il a dormi presque tout l'après-midi. Nous voulons rejoindre Ljubljana ce soir pour dîner. Nous y arrivons à 21h. Au menu ce soir : escalope à la Ljubljana (grande escalope fine pliée en deux avec à l'intérieur omelette et jambon, le tout pané), frites, salade, coca. Le café est un peu moins épais qu’en Turquie, mais il en reste toujours beaucoup de marre au fond. Nous reprenons la route à 10h du soir et attaquons un tronçon de montagne. Nous roulons bien : bonne route avec beaucoup de virages, un peu de brouillard par endroits. À minuit, nous franchissons la douane italienne très rapidement. Il n’y a presque personne. À quelques centaines de mètres, nous bifurquons dans un petit chemin en contrebas de la route pour dormir à côté de la voiture sous les arbres. Il fait frais mais pas froid, 16°. Nous avons parcouru 1006 km aujourd'hui. Nous avons rattrapé le retard d'hier et même pris une légère avance indispensable pour arriver de bonne heure au contrôle final. Claude et Roger dorment. Je me couche aussi.
vendredi 28 août 1970
Lever à 5h45, il fait12°. Comme tous les matins, vérification du niveau huile. Je laisse le soin à Claude et Roger de préparer le petit déjeuner. Pendant ce temps, je vais à la frontière changer le reste d'argent Yougoslave et un billet de 20 dollars. Plusieurs voitures du raid sont arrêtées sur le parking. À mon retour, le petit déjeuner est prêt : œufs durs et chocolat. Au moment de ranger, la bille d'une bouteille de gaz se coince. Nous sommes obligés de la laisser se vider entièrement avant de partir en direction Venise. Sur la route, nous guettons les stations TOTAL, nous avons encore 80 litres en bons. Notre poste de radio capte bien ici (on a changé les piles). Juste avant le péage de l’autoroute, nous sommes arrêtés par Citroën Milan, qui nous demande si nous n’avons pas d’ennuis. Non tout va bien ! Ils nous informent qu'il y a environ 140 voitures devant nous, nous devons être dans le milieu. Le temps est couvert. Juste avant Venise, nous trouvons une station TOTAL, où nous faisons le plein du réservoir et du jerrican. Nous trouvons un parking payant pour stationner. Plusieurs 2cv du raid, sont là. Nous embarquons sur un bateau, direction la place Saint Marc. Je fais beaucoup de photos, c'est très beau. Malgré tout, il faut retourner à la voiture car la route nous attend. Il fait beau et chaud, Claude conduit. À 13h, on s’arrête au restauroute pour déjeuner. On y mange bien, mais c’est cher ! Après le déjeuner, je prends le volant. Autoroute tout le temps. En fin d'après-midi, le temps se couvre. Il y a beaucoup de circulation. Bientôt, il pleut. Après Aoste, on s’arrête à une station TOTAL faire le plein du réservoir et du jerrican. Le pompiste met 29 litres. Il reste 11 litres sur les bons, il nous les prend et nous donne la différence en lires. A la douane, on ne nous demande rien, même pas les papiers d'identité, juste la carte d'essence pour l'Italie. Passage du tunnel (2000 lires) puis descente sur Chamonix. Au restaurant, nous buvons un Ricard, mangeons du jambon cru, une entrecôte frite, de la salade, une glace, le tout arrosé d'un rosé de Savoie. Nous sommes bien de retour en France ! Roger prend le volant pour attaquer les nombreux virages de la montagne. Le phare longue portée est bien utile. Arrêt après St Julien dans un petit village, nous prenons de l'eau à une fontaine. Quelques km plus loin, nous bifurquons dans un petit chemin pour dormir. Il est minuit quand je me couche. Il n'a pas plu ici, il fait 20°. Nous commençons à dormir mais sommes vite réveillés par la pluie. Nous plions bagage en vitesse et repartons. A 5 km après Bellegarde, nous repérons un ancien lavoir et décidons d’y dormir.
samedi 29 août 1970
Quand j’ouvre un œil à 6h, il pleut toujours. 20 minutes plus tard, Claude et Roger se réveillent. Vue le temps, nous partons sans attendre. Il nous reste environ 460 km à parcourir. À Chalon, Claude prend le volant, il y a énormément de circulation. Sur l’autoroute, nous avons un peu de pluie, puis un temps couvert. Nous doublons et nous faisons doubler par beaucoup d'équipages. À 13h35, nous quittons l'autoroute à la sortie Rungis. Nous ne trouvons pas le laisser passer de sortie d'autoroute, ils nous font garer la voiture pour le chercher. Sans ce précieux papier, nous devrons payer le péage. Nous finissons par le retrouver, franchissons la barrière de péage et gagnons le parking. Le contrôle n’ouvre qu’à 15h, nous avons 1h15 d’avance. Nous garons la voiture et partons déjeuner. Un restaurant de Rungis nous sert de superbes entrecôtes frites, un régal. Retour à la voiture. Nous prenons la file d'attente pour le contrôle final. Nous voyons avec grand plaisir arriver Jacques et Tarzan. Ils nous prennent en photo à notre passage au contrôle. Tout va bien, aucune pénalité, tous les organes sont contrôlés notamment ceux touchant à la sécurité ; ils sont tous présents et en bon fonctionnement. Ma famille arrive, ils ont entendu parler ou lu dans les journaux des nombreux accidents survenus pendant le raid et sont heureux de nous voir de retour en bonne forme, fatigue mise à part. Le parking est un vaste champ de foire. Beaucoup ont revêtu les vêtements et manteaux achetés pendant le séjour. Les voitures aussi valent le coup d'œil. Certaines portent les cicatrices du voyage : des bosses, absence d'une aile, des vitres brisées, du goudron à mi portière. Sur une Dyane Belge on peut lire « Je vous rapporte le choléra, par Sabena vous l'auriez déjà ». Les deux équipages Iraniens se livrent à un gymkhana phares allumés et klaxon à fond, avant de reprendre la route pour Téhéran. Sur les 489 voitures au départ, 320 finissent le raid, 200 dans les temps.
Les « vacances » sont maintenant finies, je retourne au boulot la semaine prochaine !
Jean Claude Coudry